Politique étrangère: Sept recommandations pour une stratégie spécifiquement européenne

Au cours des cinq prochaines années, une politique de concurrence diplomatique mais ferme sera un instrument crucial dans les relations extérieures, ainsi que l’affirmation de la souveraineté numérique européenne.

La pandémie de Covid19 va susciter des bouleversements sanitaires, bien sûr, mais aussi politiques et sociétaux. Elle modifie notamment de manière spectaculaire l’environnement dans lequel la nouvelle Commission européenne entendait se positionner en tant qu’acteur géopolitique à égalité avec les États-Unis, la Chine et la Russie. Dans ce contexte mondial en évolution rapide et imprévisible, l’Institut de recherche sur le dialogue des civilisations (DOC) a adressé au Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, M. Josep Borrel, et dans la perspective de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, sept recommandations pour une approche stratégique spécifiquement européenne.

Conformément à l’orientation des principaux dirigeants européens lors de la récente conférence de Munich sur la sécurité, l’UE devrait poursuivre d’autres voies pour assurer sa défense, tout en cherchant à préserver le partenariat de sécurité avec les États-Unis. La relation transatlantique est de plus en plus tendue sur des questions clés : l’avenir de l’OTAN, la stratégie à l’égard de l’Iran, le commerce et le protectionnisme, l’importance des institutions internationales et la politique environnementale mondiale. Une initiative européenne de défense et un engagement envers l’OTAN ne doivent pas s’exclure mutuellement, tandis que la possibilité d’associer la Russie, selon les termes de l’UE, devrait être poursuivie.

Réhabilitation le multilatéralisme

En l’absence de leadership américain et chinois, l’UE doit jouer un rôle de premier plan dans la réforme et de réhabilitation du multilatéralisme. Ce dernier est au cœur du projet de l’UE. En cherchant à le renforcer, elle doit s’adapter à l’hybridation croissante des relations internationales en associant les acteurs non étatiques (ONG ; secteur privé…). La réforme de pratiques institutionnelles obsolètes doit être menée rapidement pour re-légitimer les règles et le fonctionnement du multilatéralisme.

Sera aussi bénéfique pour l’UE le renforcement des relations interrégionales, en particulier avec son voisinage. Cela concerne en particulier ses relations avec l’Eurasie, l’Asie de l’Est, la région MENA et l’Afrique subsaharienne. Le concept d’Eurasie devrait être pris au sérieux par l’Europe, qui doit parallèlement adopter une approche plus pragmatique de ses relations avec l’Afrique. Quant à la Chine, tout en résistant à l’approche américaine de la « guerre froide » affichée lors de la conférence de Munich sur la sécurité, l’UE devrait néanmoins adopter une politique de coopération prudente et stratégique.

Initiative environnementale et digitale

L’UE doit prendre l’initiative, sinon la direction, de la lutte contre le changement climatique, laquelle nécessite une coopération globale. Cela modifiera la politique extérieure de l’UE et ses relations avec ses partenaires extérieurs. En outre, elle devra élaborer des politiques visant à éviter l’épuisement des ressources et la dégradation de l’environnement.

La numérisation et le bouleversement numérique doivent être une priorité de l’UE. Il s’agit d’une question de politique étrangère et de relations internationales autant que d’un dossier interne à l’UE. Le besoin et le désir des États de préserver leur «souveraineté en matière d’information» est une question politique majeure, car les questions de souveraineté et de juridiction concurrencent férocement les principes de liberté et d’ouverture. Plus généralement, au cours des cinq prochaines années, une politique de concurrence diplomatique mais ferme sera un instrument crucial dans les relations extérieures, ainsi que l’affirmation de la souveraineté numérique européenne.

L’UE ne doit pas suivre les États-Unis dans leur recherche d’un découplage majeur dans les secteurs manufacturier et industriel. L’intégration des chaînes d’approvisionnement reste l’un de nos meilleurs espoirs pour éviter une nouvelle guerre froide. L’Europe n’a pas le poids nécessaire pour contester la puissance politico-stratégique des États-Unis, ou du duo Sino-Russe. Mais l’UE n’est pas la seule à s’opposer à l’imprudence protectionniste des États-Unis. Elle trouvera un soutien en Asie de l’Est, en Amérique latine, en Océanie et en Afrique.

Les migrations: principal défi politique pour l’UE

L’UE doit reconnaître que pour de nombreuses personnes en Europe – et les récents événements aux frontières grecque et bulgare l’ont rappelé dramatiquement – les migrations sont le principal défi politique. Il faut donc une politique cohérente, humaine et équitable. Mais pour cela, Bruxelles doit traiter résolument avec les principaux opposants à une politique migratoire sensée, à savoir les populistes et les nationalistes. Non seulement ils sont devenus plus puissants sur le plan politique, mais ils développent une vision internationaliste. Le conflit évolue dans la direction d’un nationalisme interculturel et civilisationnel.

L’UE peut contrer cet «occidentalisme» nationaliste en renforçant sa diplomatie culturelle en tant que vecteur de relations internationales, en mettant l’accent sur une identité européenne collective qui embrasse néanmoins la diversité.

Pour que la Commission européenne évite de tomber dans le piège d’une stratégie mondiale ambiguë, il faut résister à une approche géopolitique et favoriser un agenda stratégique de «géo durabilité» offrant des voies innovantes pour faire face au changement climatique, aux nouveaux modèles numériques et au phénomène migratoire. Une stratégie qui renforce le multilatéralisme, les relations interrégionales, interculturelles, le commerce ouvert et non protectionniste contre la vague nationaliste contemporaine.

Jean-Christophe Bas, Directeur exécutif, Dialogue of Civilizations Research Institute (DOC), Berlin / Emmanuel Dupuy, Président, Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Paris / Piotr Dutkiewicz, Professeur invité, Université de Varsovie, Centre pour les études européennes et régionales, Varsovie / Michael Frendo, ancien ministre des Affaires étrangères de Malte, La Valette / Scherto Gill, Professeur, Chercheur au sein de la Fondation Guerrand-Hermes pour la Paix, Paris / Richard Higgott, Professeur Emérite, Institut pour les études européennes, Bruxelles / Shada Islam, Directrice du département « Europe et géopolitique », Friends of Europe, Bruxelles / Elena Korosteleva, Professeur, responsable du projet COMPASS, Université de Kent, Grande-Bretagne / Luk Van Langenhove, Professeur, Institut pour les études européennes, Bruxelles / Adrian Pabst, Professeur, Université de Kent, Grande-Bretagne / Pascal Petit, Directeur du laboratoire CNRS recherche économique de l’Université Sorbonne Paris Nord / Peter Schulze, Professeur, Université de Göttingen, Allemagne / Rupert Graf Strachwitz, Docteur, Directeur exécutif de la Fondation Maecenata, Berlin / Walter Schwimmer, ancien Secrétaire général du Conseil de l’Europe

Photo: Le 12 mai 2020, Josep Borrell Fontelles, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne chargé d’une Europe plus forte sur la scène internationale, a participé à la vidéoconférence des ministres de la défense / Photographe: Xavier Lejeune / Union européenne, 2020 / Source: EC – Service audiovisuel

 

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