Europe: quelle image dans les manuels scolaires allemands et anglais?

Même si les manuels reflètent largement le climat politique dominant de chaque pays, ils ne se font pas nécessairement l’écho des opinions des jeunes.

En matière d’opinions sur l’Europe, il est bien connu que les choses sont très différentes en Allemagne et en Angleterre. Les études menées après le vote du Brexit montrent que 68 % des Allemands sont favorables à l’Union européenne (UE), et que seulement 11 % soutiendraient un retrait de leur pays. À titre de comparaison, 54 % des personnes interrogées au Royaume-Uni sont favorables à l’UE.

De même, lors de la campagne électorale de 2017 en Allemagne, près d’un tiers des Allemands ont soutenu l’idée portée par Martin Schulz de fonder des «États-Unis d’Europe» d’ici 2025. En Grande-Bretagne, ce soutien n’était que de 10 %. Et il semble que ces différences soient aussi profondes que la manière dont on enseigne l’Europe aux enfants dans le cadre scolaire – comme l’indiquent les résultats de nos dernières recherches.

Nous avons analysé le traitement de l’Union européenne dans un échantillon de manuels de sciences sociales et politiques en Allemagne et en Angleterre. Et nous avons constaté que la manière dont l’Europe est représentée dans certains manuels anglais et allemands diffère considérablement. Dans les livres anglais, la place de l’Europe est moindre et l’approche qui en est faite est plus critique que dans les manuels allemands.

Dans les manuels anglais, l’Europe était présentée de manière quasi exclusive sous un angle politique – en mettant l’accent sur le fait que l’Europe est un sujet controversé. Dans l’un des ouvrages par exemple, bien qu’il y ait des références à la Convention européenne des droits de l’homme, à la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi qu’une brève mention de l’espace économique européen, la majeure partie de cette place restreinte accordée à l’Europe se focalise sur l’Union européenne – et les «différents points de vue sur l’adhésion à l’UE».

Dans les livres allemands, le traitement est très différent : l’Europe est abordée sous un spectre plus large et positif, intégrant les questions de politique et d’identité. Les manuels allemands renvoyaient aussi à des références à l’Europe comme «notre foyer historique, culturel et intellectuel», «communauté de valeurs» et comme un lieu où «les ennemis sont devenus amis».

Politique, culture et économie

Nous nous sommes penchés sur quatre manuels anglais et neuf manuels allemands. Dans l’ensemble, nous avons constaté que les manuels allemands évoquaient l’Europe avec bien plus de détails et sous un angle beaucoup plus positif que leurs équivalents anglais.

Il nous est apparu que, dans les manuels allemands, l’Europe est non seulement plus présente mais bénéficie aussi d’éclairages plus variés. Les deux séries de manuels mettent l’accent sur le fonctionnement politique de l’UE, mais les manuels allemands s’intéressent aussi à ses dimensions économiques et culturelles. Et un certain nombre d’entre eux consacraient même des chapitres distincts à l’Europe politique et à l’Europe comme entité culturelle. Contrairement aux livres anglais, certains documents allemands attestaient aussi de loyautés anticipées à l’égard de l’Europe.

Le projet s’est appuyé sur des recherches antérieures, en particulier les travaux menés par l’une des équipes auprès de 2 000 jeunes issus de 29 pays européens. Le but était de voir comment, dans l’espace européen, les jeunes construisent leurs identités politiques – ce qui, selon nous, dépasse souvent les frontières de l’État et de la nation.

Même si les manuels reflètent largement le climat politique dominant de chaque pays, ils ne se font pas nécessairement l’écho des opinions des jeunes. En Allemagne ou en Angleterre, ceux-ci partagent des points de vue assez similaires à propos de l’Europe. Ils sont attachés à certaines valeurs (aussi bien générales qu’européennes) et, bien que les jeunes n’embrassent pas l’identité et la loyauté européennes sans se poser de questions, il y a parmi les deux groupes – et particulièrement chez les Allemands – le sentiment d’être européens. Cela n’apparaît pas dans les manuels anglais.

Activités pédagogiques

L’éventail d’activités proposé dans les manuels allemands est aussi plus large que celui qu’on trouve dans les manuels anglais. En revanche, les manuels allemands s’appuient sur un sentiment d’identité européenne en favorisant les interactions entre les étudiants, y compris à travers un travail plus poussé de plaidoyer, de représentation, d’action informée et responsable.

Les manuels anglais, quant à eux, ont recours à de brefs exercices de lecture individuels pour faire la part des arguments «pour» ou «contre» l’adhésion à l’Europe. L’un des livres fournit par exemple une liste «des bénéfices et des coûts» de l’appartenance européenne et demande ensuite aux étudiants de «les résumer sous forme de diapositives ou graphiques».

Cela renvoie au contexte politique de l’Angleterre, où le débat sur l’Europe ne dépend par de la dynamique d’un engagement mais d’une évaluation équilibrée des avantages et des inconvénients d’une adhésion. En ce sens, nous avons découvert que la nature des activités éducatives proposées aux enseignants et aux étudiants dans notre échantillon de manuels tend à refléter les récits nationaux.

Dans les deux pays, l’éducation a pour enjeu de socialiser les jeunes et leur permettre de trouver leur place dans un récit national déjà établi. Cela peut sembler plus facile à justifier en Allemagne où la concordance entre les points de vue des jeunes et le contenu des ressources pédagogiques (d’après les conclusions de notre étude) est plus forte. Mais dans les deux cas, la question se pose de savoir dans quelle mesure les écoles sont le miroir de la société et engagées dans la promotion des opinions établies.

Il semble donc que, dans les deux pays, la question la plus controversée du XXIe siècle – l’Union européenne – soit simplement présentée comme un reflet du récit national actuel pour les générations futures.

Ian Davies est Professor in the Department of Education, University of York / Alistair Ross est Emeritus Professor in the Institute for Policy Studies in Education, London Metropolitan University / Beatrice Szczepek Reed est Professor of Language Education, King’s College London / Eleanor Brown est Lecturer in the Department of Education, University of York / Geraldine Bengsch est German Tutor, University of York / Première publication dans The Conversation sous licence Creative Commons / Photo: Union européenne, 2017 / Source: EC – Service audiovisuel

© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.