La Cour de Justice de l'Union autorise le rejet des mandats d'arrêt européens délivrés par Varsovie

Effet boomerang des réformes controversées du système judiciaire en Pologne, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), saisie par la Haute Cour irlandaise dans l’affaire C-216/18 PPU «Minister for Justice and Equality/LM (Défaillances du système judiciaire)», a autorisé hier les Etats membres de l’Union à ne pas exécuter un mandat d’arrêt européen délivré par la Pologne s’ils doutent de l’indépendance du pouvoir judiciaire dans ce pays.

Au coeur de l’affaire, «LM», un citoyen de nationalité polonaise, faisait l’objet de trois mandats d’arrêt européens émis par des juridictions polonaises aux fins de poursuite pour trafic illicite de stupéfiants. Arrêté en Irlande le 5 mai 2017, celui-ci n’avait pas consenti à sa remise aux autorités polonaises au motif que, du fait des réformes du système judiciaire polonais, il courrait un risque réel de ne pas bénéficier, en Pologne, d’un procès équitable.

Bien qu’ayant initialement souligné que «le refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen est une exception au principe de reconnaissance mutuelle» la Cour de Justice a finalement relevé qu’«une autorité judiciaire appelée à exécuter un mandat d’arrêt européen doit s’abstenir d’y donner suite si elle estime que la personne concernée risquait de subir une violation de son droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant, du contenu essentiel de son droit fondamental à un procès équitable, en raison de défaillances susceptibles d’affecter l’indépendance du pouvoir judiciaire dans l’Etat membre d’émission».

Prenant notamment en considération le fait que Commission européenne ait demandé à ce que soit engagée contre la Pologne une procédure au titre de l’article 7 du Traité de l’Union (TUE) pour risque clair de violation grave des valeurs visées à l’article 2 du TUE, les juges européens ont ainsi engagé la Haute Cour irlandaise à «évaluer s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, eu égard à sa situation personnelle ainsi qu’à la nature de l’infraction pour laquelle elle est poursuivie et au contexte factuel qui sont à la base du mandat d’arrêt européen, (serait susceptible de courir) un risque réel de violation de son droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant, du contenu essentiel de son droit fondamental à un procès équitable» en Pologne. «Si, après avoir examiné l’ensemble de ces éléments, ont poursuivi les juges de la CJUE, l’autorité judiciaire d’exécution considère que de telles craintes soient avérées, «cette autorité doit s’abstenir de donner suite au mandat d’arrêt européen dont cette personne fait l’objet».

Réagissant à l’arrêt de ce jour, le ministre polonais de la Justice Zbigniew Ziobro a adopté en réponse une posture très politique soulignant que la Cour n’avait pas validé l’automaticité des refus d’exécution du mandat d’arrêt, ni «constaté que l’Etat de droit était violé en Pologne». En sens inverse, Michal Laskowski, le porte-parole de la Cour suprême polonaise, visée par les réformes du gouvernement conservateur, a quant à lui déploré que, suite aux réformes juridictionnelles engagées sur le plan national, la Pologne en soit désormais réduite à être mise «sous observation attentive où il faut à chaque fois vérifier si les décisions des tribunaux sont celles de tribunaux indépendants ou non».

 

Photo: Parvis de la CJUE / G. Fessy / crédits CJUE