Ukraine: Le fascisme contrarié de Poutine

Comble du cynisme, la propagande russe utilise comme réthorique une victoire commune des Russes et des Ukrainiens sur le fascisme, lors de la Seconde Guerre mondiale.

 

Ceci alors que les Ukrainiens sont ceux qui ont payé le plus lourd tribu à la victoire face à Hitler: 10 millions de personnes!

(Correspondance en Ukraine) Chacun sait que la montée de l’idéologie fasciste dans l’Allemagne nazie était basée sur la propagande de Goebbels: l’ensemble des médias étaient sous contrôle, ne laissant transparaître que ce qui était bon pour Hitler et ses sbires. C’est cette propagande qui a permis au régime de formater l’esprit des gens et d’en faire des soutiens au régime nazi. Les parallèles avec la Russie moderne ne sont pas difficiles à tracer, où tous les médias sont désormais sous la coupe de Vladimir Poutine. La propagande en est même venue à inonder les programmes de divertissements et les longs métrages qui idéalisent la guerre contre l’Ukraine et glorifient le régime russe.

La règle de base de toute propagande est de nommer blanc ce qui est noir et noir ce qui est blanc. Aucune demi-mesure. Dans la réalité des médias russes, c’est Kiev qui a planifié l’attaque contre les Républiques populaires auto-proclamées de Donetsk (DNR) et de Louhansk (LNR). Kiev, les Ukrainiens:ces «nazis », selon Poutine.

Février 2021: les médias russes préparent le terrain

La rhétorique des propagandistes russes vise un but simple: justifier toute action de la Russie contre l’Ukraine. Depuis un an, des responsables du gouvernement russe et des commentateurs tels que Vladimir Soloviev, Dmitry Kiselyov ainsi que d’autres animateurs de talk-shows, menacent Kiev de «coercition pour la paix» et de «dénazification», justifiant que l’Ukraine est une menace pour la Russie et les Républiques auto-proclamées. La télévision russe a rapporté que Kiev prévoyait des attaques terroristes sur le territoire russe, que l’Ukraine ne contrôlait pas ses propres forces armées, que les forces de l’OTAN se rapprochaient et menaçaient à leur tour les frontières de la Russie, et que dans un tel contexte: qui sait de quoi sont capables les «nazis»..?

Ce «wording» a globalement commencé a naître en février 2021. Un façon de préparer le peuple russe à la guerre. Comble du cynisme, la propagande russe utilise comme réthorique une victoire commune des Russes et des Ukrainiens sur le fascisme, lors de la Seconde Guerre mondiale. Ceci alors que les Ukrainiens sont ceux qui ont payé le plus lourd tribu à la victoire face à Hitler: 10 millions de personnes!

«Dans sa rage militariste, l’Ukraine déplace toutes ses forces armées sur la ligne de front. Et son commandant en chef, un comédien, encourage personnellement cela». Voici ce qui pouvait alors être entendu dans News of the Week animé par Dmitri Kiselyov. Un exemple parmi d’autre de ce que véhiculaient et véhiculent encore les médias encadrés par le Kremlin.

«Nouveau monde russe»

Pourquoi affubler le peuple ukrainien du qualificatif de «nazi»? Précisément pour déguiser le fascisme du régime de Poutine. Un régime qui a depuis longtemps pris les atours d’un Etat totalitaire, où les politiciens d’opposition, dissidents, sont tués, emprisonnés ou exilés. Les nazis croyaient que la pleine mobilisation de la société dans un Etat totalitaire était nécessaire pour se préparer au conflit armé. L’Etat fasciste est dirigé par un dirigeant fort – Poutine, dans la version russe. Le gouvernement fonctionne dans le cadre d’une loi martiale ou assimilée, ce qui assure le renforcement de l’unité nationale et le maintien de la stabilité au sein de la société.

Le fascisme rejette l’affirmation selon laquelle la force serait a priori négative et considère la violence politique et la guerre comme des moyens susceptibles d’assurer le développement national et la prospérité. L’économie cherche généralement à atteindre l’autarcie – une autosuffisance économique -, de sorte que le protectionnisme et l’intervention économique sont activement utilisés. L’autoritarisme extrême et le nationalisme du fascisme donnent naissance à un racisme radical: la poursuite de la pureté raciale ou l’établissement du pouvoir par la race dirigeante, devient susceptible de justifier des meurtres de masse, voire des génocides. L’idée d’un «nouveau monde russe» repose ni plus ni moins que sur la reconnaissance des «Grands Russes» comme race dominante. En dessous d’eux: des races moins pures – les Biélorusses et les Malorusiens (Ukrainiens). Des populations dites «fraternelles» dont le destin se limiterait obéir aux décisions du Kremlin. Les services de renseignement américains avaient signalé la préparation de listes spéciales recensant les Ukrainiens soupçonnés (sinon accusés) de vouloir renverser le régime de Poutine: une planification visant à les destiner à rejoindre des camps de concentration ou à être massacrés au motif, qu’en tant qu’Ukrainiens libres, ils ne seraient pas en accord avec le régime Poutine…

Mais pourquoi les Russes croient-ils à la propagande de Poutine? Simplement parce qu’il est tellement confortable et agréable de se sentir au dessus des Ukrainiens ou des Biélorusses. De se sentir privilégié, en tant que «Grand Russe», capable de contrôler le sort des «populations fraternelles». Il y a indéniablement quelque chose d’appréciable à sentir que toutes les nations ont peur de vous. Ici, avoir peur de vous signifie avoir du respect pour vous. Une métaphore pourrait être celle-ci: «Nous sommes des lions et le monde entier a peur de nous. Poutine est grand!» Et leur conscience de rejeter tout ce qui n’entre pas dans cette bien confortable image.

Quand Moscou écrit l’histoire avant l’heure

Dans ce contexte, l’invasion de l’Ukraine avait été envisagée par le Kremlin comme une opération militaire rapide de deux à trois jours, du 24 au 26 février. La presse russe s’y était elle même préparée en amont, avec des articles annonçant la victoire sur l’Ukraine le 26 février, comme nous l’ont indiqué une fuite des archives pré-programmées de certains médias. A commencer par Ria Novosti ou Spoutnik. Le titre: «La Russie et le Nouveau Monde». Le contenu: «La Russie rétablit son unité – la tragédie de 1991, cette terrible catastrophe dans notre histoire, sa dislocation contre nature, a été surmontée. Oui, à grands frais, oui, à travers les événements tragiques d’une guerre civile (…) Mais l’Ukraine, en tant qu’anti-Russe, ne sera plus. La Russie restaure sa plénitude historique, réunissant le monde russe, le peuple russe dans sa totalité – des Grands Russes aux Biélorusses et Malorusses (Ukrainiens, ndlr). Si nous avions renoncé à cela, nous aurions laissé une division temporaire perdurer des siècles durant. Non seulement nous aurions trahi la mémoire de nos ancêtres, mais nous aurions été damnés par nos descendants pour avoir permis la désintégration de la terre russe (…) Aujourd’hui, l’Ukraine est retournée en Russie. Cela ne signifie pas que son statut d’Etat sera aboli, mais il sera rétabli, recréé et retourné à son état naturel dans la partie du monde russe. Dans quelles frontières, sous quelle forme une alliance avec la Russie sera-t-elle établie: par l’intermédiaire de l’Organisation du traité de sécurité collective – OTSC – et de l’Union eurasienne, ou de l’Union de la Russie et de la Biélorussie? Cela sera décidé après la fin de l’histoire de l’Ukraine antisoviétique. En tout cas, la période de division du peuple russe touche à sa fin (…) Le chronomètre de Zelensky est à zéro, son temps est écoulé. La Russie n’a pas seulement défié l’Occident: elle a montré que l’ère de la domination mondiale occidentale est révolue. Le nouveau monde sera construit par toutes les civilisations et centres de pouvoir – naturellement, avec l’Occident (uni ou non) – mais pas sur ses termes et règles».

‘Capitulez, acceptez le «nouveau monde russe» ou vous serez démolis’.

Reste que la Blitzkrieg de Poutine n’aura pas été victorieuse. Toutes les forces russes, ou presque, ont été lancées sur Kyiv mais, pour l’heure, Poutine a de nouveau échoué. Furieux, l’hôte du Kremlin a désormais décidé de faire la guerre pour détruire le peuple ukrainien. Les troupes russes ont tiré sur les hôpitaux pédiatriques, les jardins d’enfants, les cités et les civils dans les rues de Kharkiv, Kyiv, Kherson, Marioupol, Tchernitch et bien d’autres encore. Les crimes de guerre de l’armée russe visent à démoraliser le peuple ukrainien et à exercer une pression maximale sur son gouvernement. Le chantage de Poutine au peuple ukrainien: ‘Capitulez, acceptez le «nouveau monde russe» ou vous serez démolis’.

Une offensive à grande échelle est désormais prévue depuis le territoire de la Biélorussie. A l’heure actuelle, des discussions sont en cours sur l’ampleur des crimes contre l’humanité que les autorités russes peuvent commettre, et si Poutine en viendra à utiliser l’arme nucléaire. Mais le Kremlin ne pourra pas se permettre une guerre à long terme, face à un effondrement de l’économie russe. Les sanctions imposées par les pays occidentaux fonctionnent, mais cela n’apaisera certainement pas le régime fasciste de Poutine. Seule, finalement, une résistance militaire féroce et la destruction de son régime de l’intérieur peuvent arrêter l’agression de Poutine.

Aleksandra Klitina est ancienne vice-Ministre ukrainienne de l’Infrastructure (2019) / Article rédigé en amont de la reconnaissance par Vladimir Poutine de l’indépendance des Républiques auto-proclamées de Donetsk et de Luhansk / Photo: Aleksandra Klitina – Mercredi matin. 2 mars. L’armée russe bombarde le siège des services de sécurité et une université à Kharkiv – Ukraine

© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.