Washington – Moscou ou, dans l'indécision de l'UE, le difficile dialogue européen

«Entre Joe Biden et Vladimir Poutine, des retrouvailles sous le signe de la défiance»: Le Monde; «Poutine et Biden se disent leurs quatre vérités»: Le Figaro; «Joe Biden et Vladimir Poutine jouent la carte de l’apaisement, malgré les nombreux points de tension»: France Info avec AFP; «Biden et Poutine saluent des discussions positives, mais l’animosité est toujours là»: Euractiv; «Biden demande à Poutine d’agir contre les cyberattaques venues de Russie»: RFI. «Un échange à fleurets mouchetés»: Le Soir; «Simple sommet ou rendez-vous avec l’Histoire?»: Le Journal de Montréal. Politologue basée à Kiev, Elena Galkina semble, à l’instar de nombreux experts régionaux, laisser reposer ses derniers espoirs sur une éventuelle pression exercée depuis Washington. Positive dans son approche, elle veut voir dans les tensions qui ont émergé au cours de cette rencontre, un message fort du grand frère américain: celui d’un bloc occidental réunifié sous l’égide de Biden

Un bloc occidental réunifié…

Beaucoup a été dit, écrit, sur la récente rencontre entre les présidents américain et russe, le mois dernier à Genève. Beaucoup en était attendu. Mais peu en est finalement ressorti sur les ouvertures politiques. Much ado about nothing, aurait-on pu écrire en d’autres temps. Fait étonnant, mais non moins surprenant, peu en a été retranscrit depuis le côté euro-oriental, à commencer par les Etats limitrophes de la Russie: Ukraine et Belarus en tête. Alors que les Etats membres de l’Union européenne ne semblent toujours disposés à s’entendre sur une stratégie à adopter envers les multiples provocations du Kremlin, tant au sein des anciennes républiques soviétiques que sur son propre sol, Elena Galkina, politologue basée à Kiev, semble, à l’instar de nombreux experts régionaux, laisser reposer ses derniers espoirs sur une éventuelle pression exercée depuis Washington. Positive dans son approche, elle veut voir dans les tensions qui ont émergé au cours de cette rencontre, un message fort du grand frère américain: celui d’un bloc occidental réunifié sous l’égide de Biden, résumé en substance en ces termes: tant que Moscou cherchera à affaiblir les démocraties, soutiendra une politique de désinformation, menacera la souveraineté et l’intégrité territoriale de ses voisins, encouragera les cyberattaques et refusera de se plier au droit international, elle sera considérée comme ennemie de cette alliance.

…mais inaudible

Souci: la chose étant dite, et à l’instar des multiples positionnement européens qui oscillent entre désir de se rapprocher de Moscou sans transiger sur la défense des valeurs portées par l’UE, peu, à ce stade, plaide en faveur d’une quelconque avancée en ce sens. L’Union (et plus particulièrement au regard du projet Nord Stream II, dont une part de son approvisionnement énergétique dépend – à commencer par celui de l’Allemagne) ne semble savoir se positionner envers Moscou: d’un côté, la défense du droit international et des valeurs démocratiques qu’elle porte; de l’autre ses intérêts économiques et financiers qui, selon les pays concernés divergent face à ce projet. Côté américain, l’envie exprimée de remettre ordre et clarté dans les relations Est-Ouest mais sans embarrasser les grandes puissances ouest-européennes. L’avenir de l’Ukraine, de la Biélorussie sont en partie au cœur de ces enjeux contradictoires. Agir ou se taire. Pour l’heure, tous ou presque, parlent mais, à l’exception de quelques sanctions financières, n’agissent pas. Qui, d’ailleurs, aurait, à cette heure envie de s’opposer frontalement à une Russie géopolitiquement revitalisée par Poutine? Dans les couloirs de Bruxelles ou de Strasbourg, peu, sinon personne, ne semblent se résoudre à une telle option.

L’Otan comme horizon?

Point positif, néanmoins, relève Elena Galkina: au cours de sa tournée européenne, Biden n’a pas manqué de faire savoir que l’occupation de la Crimée ou du Donbass ne ferait office de frein à l’adhésion de Kiev à l’Otan. De quoi laisser supposer que les politiques séparatistes ou d’occupation encouragées depuis le Kremlin ne suffiraient à fragiliser le bloc occidental que Washington déclare à nouveau vouloir diriger. «Désormais, le message envoyé à Moscou est clair: non seulement l’Ukraine mais également la Georgie, la Moldavie, l’Azerbaïdjan pourront (à un moment ou un autre) rejoindre l’Alliance atlantique», déjouant ainsi toute stratégie d’affaiblissement de ces Etats par Moscou pour contrer ce dessein. Mais là encore, les seuls mots ne pourront suffire.

Quant à la question de savoir si cette rencontre peut avoir une quelconque influence sur l’évolution de la société russe, et plus particulièrement de sa classe dirigeante, le pessimisme est de mise. «Il me semble désormais peu probable que Navalny puisse être assassiné ou torturé en prison. Mais la répression contre l’opposition russe devrait se poursuivre et je crains qu’elle ne devienne plus virulente encore», note Elena Galkina. En aucun cas je pense que ce sommet aura un impact sur la préparation des élections de septembre. En fait, la question principale reste de savoir si des manifestations d’ampleur suivront la publication des résultats, au regard de l’insatisfaction grandissante dans le pays face à la paupérisation croissante des ménages. Car si le peuple russe est profondément inquiet à l’idée de défier le pouvoir en place, il n’a pas oublié la réforme des retraites, le scandale du palace de Poutine, la corruption des puissants, les ridicules compensations financières face aux mesures économiques prises face au Covid-19. Et je passe l’échec des campagnes de vaccination qui n’a fait qu’accentuer, au sein de la population, l’impopularité du chef de l’Etat».

Elena Galkina est politologue, basée à Kiev / Entretien: Olivier Védrine / Texte: Christophe Nonnenmacher / Olivier Védrine est Professeur (h.c.) et rédacteur en chef du Russian Monitor / Christophe Nonnenmacher est directeur du Pôle européen d’administration publique – PEAP / Photo: DR

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