Valery Solovei: «Les bureaucrates européens ne croient pas à l'émergence d'une démocratie en Russie»

Alors que de nouvelles manifestations pro-démocratie sont annoncées ce dimanche en Russie quelle avenir pour l’opposition russe? Quel poids de l’opposition politique russe, des Etats-Unis et de l’Europe dans ce qui, pour certains, s’apparente déjà à un possible tournant dans l’histoire post-soviétique, associé à un déclin murmuré de l’état de santé de Vladimir Poutine?

(Entretien : Olivier Védrine / Texte : Christophe Nonnenmacher) Arrêté le 17 janvier à son retour de Berlin à l’aéroport de Moscou-Cheremetievo – Alexandre Pouchkine, Alexeï Navalny sera-t-il le déclencheur d’une fin de règne de Vladimir Poutine ou, tout du moins, d’un réveil de l’opposition pro-démocratique russe? Pour le dissident et politologue Valery Solovei, ancien responsable du département des relations publiques du Moscow State Institute of International Relations (MGIMO), interviewé par Olivier Védrine pour The Russian Monitor et Eutalk, tant l’arrestation de Navalny que la publication par sa fondation anti-corruption Fond Borby s Korruptsieï de son enquête sur l’affaire du Palace à plus d’1 milliard d’euros de Vladimir Poutine sur les rives de la mer noire pourraient sonner l’heure d’un tel réveil. «Le regard des gens ordinaires est en train de changer. Des manifestations telles que celles entamées samedi 23 janvier n’avaient pas été vues depuis 2012! Ce qui est intéressant est que nous n’avons pas uniquement vu les grandes villes se mobiliser mais également les petites et les moyennes. Et il ne s’agit sans doute là que d’un commencement».

Les possibilités de basculement sont ici d’autant plus prises au sérieux que la longévité du chef de l’Etat russe est elle-même désormais questionnée. «Le pouvoir en place cherche à masquer cette réalité» mais force est de constater que des rumeurs insistantes pèsent sur l’état de santé de Vladimir Poutine qui, « de sources différentes et fiable », insiste Valery Solovei, souffrirait « d’un cancer agressif et de troubles neurobiologiques». Et «ce double problème de santé limite sa capacité à incarner le rôle qui est le sien de personnalité publique et de leader!».

Dans les arcanes du pouvoir, plusieurs scenarii seraient donc à l’étude, à commencer par celui consistant à préserver le «système Poutine» en l’absence de celui qui l’a inspiré. Dans cette optique, un retour sur le devant de la scène de Dimitri Medvedev serait jugé crédible, avec pour l’opposition libérale – à distinguer de celle, nationaliste, incarnée par Navalny – l’éventualité de le rejoindre dans un effort de transition démocratique.

A l’inverse, certains cadres du parti jugeraient toute transition pacifique improbable, au point que certains membres de l’administration du Kremlin auraient ces derniers jours fait fuité des documents vers des agences de Renseignement occidentales dans une proportion jamais observée depuis août 1991. Ceci dans le but de s’ouvrir quelques portes de sortie pour l’avenir.

Côté Poutine, le risque de coup d’Etat serait également pris au sérieux, le chef de l’Etat russe gardant à l’esprit que la mise en œuvre de sanctions économiques américaines contre ses proches pourrait lui coûter leur soutien, ceux-ci risquant très fortement de choisir la défense de leurs intérêts privés à ceux de leur leader, prévient Solovei. Quant à l’Union européenne, et en dehors de quelques gesticulations de façade, celle-ci remarque le politologue, ne devrait pas sortir d’un rôle «d’observateur». «Les Européens ne feront pas pression. Ils n’interviendront pas. Et attendront que se dessine par elle-même une issue politique à la crise en cours. Très clairement, les bureaucrates européens ne croient pas à l’émergence d’une démocratie en Russie». Seul un positionnement «agressif» venu des Etats-Unis pourrait favoriser ici «un tournant de l’histoire post-soviétique».

Olivier Védrine est Professeur (h.c.), rédacteur en chef de The Russian Monitor, Directeur de New Europeans / Christophe Nonnenmacher est Directeur du Pôle européen d’administration publique de Strasbourg, chief editor de Eutalk.eu / Entretien réalisé dans le cadre d’une série de rencontres EuTalk -The Russian monitor, animées depuis Kiev par Olivier Védrine.

© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.