Qu'est-ce qui nous sépare encore de la paix en Ukraine?

Nous souhaitons qu’Emmanuel Macron reprenne son «bâton de pèlerin de la paix», afin de relancer le processus du format Normandie et faire ainsi pression sur Kiev pour la mise en œuvre effective de la partie politique des accords de Minsk!

Il en va de la paix et de l’avenir de Europe !

Considéré comme le principal opposant politique au Président Volodymyr Zelensky, Viktor Medvechuk ne laisse guère indifférent. Proche de Vladimir Poutine, qui est le parrain de sa fille, cet avocat, souvent présenté comme un oligarque pro-russe, élu au Parlement ukrainien, est actuellement poursuivi pour possession de biens immobiliers en Crimée et pour avoir investi en 2014 dans une raffinerie russe ayant alimenté en carburant les forces séparatistes du Donbass, accusations qu’il juge «farfelues». Il plaide néanmoins pour une résolution du conflit au travers de l’application des accords de Minsk. Souci, néanmoins mis en exergue par de nombreux officiels pro-Zelensky, la mise en application de ces mesures: alors que la partie pro-Kiev appelle d’abord au retrait des forces russes du Donbass et à une reprise du contrôle de ses frontières avant toute élection locale, la partie pro-russe défend quant à elle une phase inverse susceptible, le scrutin terminé, d’écarter toute avancée en ce sens. Et Medvechuk d’en appeler à l’intervention de la France et de l’UE, en format Normandie, afin de renouer le dialogue et de sortir de l’impasse.

Il ne fait aucun doute que l’Ukraine est importante pour l’Europe. Elle est importante en tant que pont unique entre l’Est et l’Ouest du continent, en tant que passerelle naturelle de l’Ancien Monde vers l’Eurasie avec son développement dynamique. Le problème est que des puissances non européennes, qui ne veulent pas d’une Europe forte et autonome, appliquent le principe du «diviser pour mieux régner» et brisent ce pont depuis sept ans déjà, le transformant en un mur.

Ces puissances ne voient pas d’un bon œil de bonnes relations entre l’Union européenne et la Russie, entre l’UE et l’Asie. La conséquence de cette attitude est que le conflit dans le Donbass, qu’on aurait pu régler, est toujours présent depuis sept ans, qu’un discours nationaliste radical prédomine en Ukraine, que les droits des minorités nationales sont violées, que les industries à forte intensité scientifique héritées de l’URSS et liées au marché de la Russie et d’autres pays de la CEI ont été détruites, que l’économie s’effondre et que le nombre de victimes de ce conflit ne cesse de s’allonger.

Alors qu’un incendie se propage avec plus ou moins d’intensité au centre de l’Europe, l’Ouest et l’Est du continent ne peuvent normaliser leurs relations pour établir une coopération bénéfique pour les deux parties. En 2019, le Président Volodymyr Zelensky s’était fait élire sur des promesses de paix, de respect des droits des russophones et des autres représentants des minorités nationales, d’une augmentation du niveau de vie, d’une baisse des prix et de l’élimination des monopoles dans l’économie nationale. Mais depuis plus de deux ans, il fait le contraire. La meilleure preuve en est l’impasse totale des négociations pour mettre fin au conflit dans le Donbass. Finalement, la passation de présidence en 2019 entre Petro Porochenko, discrédité par la corruption, et l’ancien comédien Volodymyr Zelensky n’a rien changé au discours officiel, ni à l’intérieur ni à l’extérieur du pays.

D’une certaine façon, cette situation profite à ceux qui veulent accéder le plus rapidement possible à la fameuse «terre noire» ukrainienne, unique au monde, alors que le conflit dans le Donbass et le haut niveau de corruption maintiennent les prix de ce «pétrole du XXIe siècle» à un niveau extrêmement bas. Elle profite à tous ceux qu’un conflit au cœur de l’Europe arrange bien!

Espoir déçu

En 2019, le président français Emmanuel Macron, conscient que cette situation ne pouvait durer, a, très courageusement, réuni après une longue pause, les dirigeants allemand, russe et ukrainien en format «Normandie» pour un sommet à Paris le 9 décembre 2019. Il a semblé alors que la voie vers la paix en Ukraine était à nouveau engagée.

Mais les espoirs du sommet de Paris se sont vite révélés être une illusion. De retour à Kiev, soit par peur des nationalistes radicaux, soit par souci d’exploiter le thème de la guerre pour camoufler ses échecs, Volodymyr Zelensky est revenu sur la plupart des engagements qu’il avait contractés dans la capitale française. Au point que le président ukrainien a plusieurs fois appelé publiquement à l’abandon des accords de Minsk 2. Pourtant, comme le reconnait la Communauté internationale, il n’y a pas d’alternative à l’application de ces accords. Plus d’un an et demi après le sommet de Paris, la majorité au pouvoir au parlement ukrainien n’a toujours pas mis à l’ordre du jour les projets de loi prévus par le volet politique des accords de Minsk (décentralisation, respect des minorités..). Si ces réformes étaient introduites, vous verriez que les tensions s’apaiseraient immédiatement, plus aucune intervention extérieure en Ukraine de l’Est ne se justifiant. Mais en l’absence de ces réformes politiques nécessaires, on ne peut espérer de vrai cessez-le-feu comme on a pu le voir avec les tensions qui se sont accrues au premier semestre de cette année.

L’opposition sous pression

En revanche, l’équipe au pouvoir ne ménage pas ses efforts pour faire pression par tous les moyens sur ceux qui sont les plus engagés en faveur d’un règlement diplomatique du conflit. Ainsi, le Président Zelensky, par un décret contournant à la fois le régulateur national spécialisé, les associations de journalistes et les tribunaux, et sous le prétexte de plaintes discutables, a fermé d’un coup trois chaînes de télévision d’information de premier plan. C’est d’ailleurs à l’antenne de ces chaînes que les appels d’experts et d’hommes politiques en faveur d’une mise en œuvre cohérente des accords de Minsk étaient le plus souvent entendus. Ces chaînes de télévision – 112, NewsOne et Zik – (trois chaînes détenues officiellement par le député Taras Kozak, mais supposées être contrôlées par l’auteur de l’article, ndlr) en raison de leur position équilibrée et de l’absence de propagande nationaliste à l’antenne, étaient les plus populaires parmi les Ukrainiens des territoires de l’Est et des zones non contrôlés du Donbass. Leur fermeture a fait que la télévision proprement ukrainienne a disparu de ces zones, notamment au-delà de la ligne de front (de source officielle, il est également à noter que toute diffusion de chaînes pro-Kiev ont parallèlement été bloquées dans la Région du Dombass, contrôlé pour 1/3 par les séparatistes russes, ndlr).

De plus, le président Zelensky n’a pas manqué d’imposer des sanctions contre les citoyens de son propre pays. Ainsi, contrairement aux normes définies par la Constitution, et sous couvert d’accusations sans fondements, je suis aujourd’hui privé de la possibilité d’exercer mes fonctions de député, ce qui porte atteinte aux droits de mes électeurs. On en est arrivé au point que Nikita Poturayev, chef du Comité de politique humanitaire et de l’information – qui est membre du parti de Zelensky-, a appelé depuis la tribune de la Verkhovna Rada (Parlement) à l’exclusion de tous les membres de la faction OP-ZZ (principale plateforme d’opposition- Pour la vie) à laquelle j’appartiens et s’est plaint que la démocratie existante en Ukraine ne permettait pas de le faire. Il a engagé les autorités à «poursuivre lentement la destruction politique des forces d’opposition».

La paix en Ukraine, facteur de prospérité pour les Européens.

Le président Zelensky peut-il, avec de telles attitudes, ramener la paix en Ukraine et dans l’ensemble de l’Europe? Bien sûr que non. Le moment est venu pour les partenaires européens de s’en rendre compte et d’exiger fermement que les autorités ukrainiennes cessent de jouer aux «petits dictateurs», «de caresser dans le sens du poil» les plus extrêmes des nationalistes et se concentrent enfin sur la mise en œuvre de la partie politique des accords de Minsk, respectent les droits des journalistes et de l’opposition, et cessent toute propagande de guerre et de haine. A défaut, l’Ukraine continuera d’être utilisée comme un feu qui couve au centre du continent, et empêchera les Européens de consacrer tous leurs efforts aux véritables défis de notre temps, les problèmes du réchauffement climatique, la lutte contre la pandémie et la relance nécessaire d’une économie continentale qui est de loin, la plus abimée et la plus déprimée du monde. Une Ukraine en paix peut devenir, au contraire, en tant que pont entre l’Est et l’Ouest, un facteur de prospérité pour les Européennes et les Européens.

L’Ukraine possède en outre un nombre inestimable de richesses (main d’œuvre très qualifiée, compétences industrielles, les fameuses terres noires agricoles mais aussi des «terres rares»…) peu ou mal exploitées aujourd’hui en raison de la persistance d’un conflit qui décourage toute velléité d’investissements extérieurs.

Nous souhaitons que le Président Emmanuel Macron, suivant son inspiration courageuse et visionnaire du 9 décembre 2019, reprenne, pour la dernière année de son mandat, son «bâton de pèlerin de la paix», afin de relancer le processus du format Normandie et faire ainsi pression sur Kiev pour la mise en œuvre effective de la partie politique des accords de Minsk! Il en va de la paix et de l’avenir de Europe !

Viktor Medvechuk est Député au Parlement ukrainien, membre de l’opposition / Photo: DR

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