UE-Russie: «Plus que de nous demander quand prendra fin le régime Poutine, la question à nous poser est celle du 'comment'»

Biélorussie, Ukraine, crainte des pays pays baltes, répression des mouvements pro-démocratie en Russie. Alors que certains analystes prédisent une fin teintée de chaos de l’ère Poutine, pour l’ancien député de la Douma russe Ilia Ponomarev la question qui devrait inspirer Russes et Européens n’est pas tant «quand» Poutine quittera le pouvoir mais «comment» se construira à plus ou moins court terme l’après, et avec qui, Navalny ou Khodorkovski n’étant, selon lui, pas des options.

Biélorussie, Ukraine, crainte des pays pays baltes, répression des mouvements pro-démocratie en Russie. Alors que certains analystes prédisent une fin teintée de chaos de l’ère Poutine, pour l’ancien député de la Douma russe Ilia Ponomarev la question qui devrait inspirer Russes et Européens n’est pas tant «quand» Poutine quittera le pouvoir mais «comment» se construira à plus ou moins court terme l’après, et avec qui, Navalny ou Khodorkovski n’étant, selon lui, pas des options.

«Poutine est-il malade?» : basée sur les récents propos du politologue Valery Solovei, la question s’affiche provocante. Un brin cynique, la réponse d’Ilia Ponomarev, ancien député de la Douma russe, se veut tranchante mais interpelle sur le fond: «Mentalement, oui, il est malade, et n’importe qui peut en apporter la preuve. Vous n’avez pas besoin d’être un spécialiste pour reconnaître cela. Mais physiquement, s’il n’est plus un jeune homme, je ne pense pas qu’il soit affecté par une maladie qui menace sa vie ». Ponomarev dit ne pas connaître les motivations qui poussent Valery Solovei à colporter cette «information» mais ce que remarque l’ancien député est que bien plus que de la contester, les services du Kremlin «encouragent sa diffusion». Et ce pour une raison simple: «lorsque celle-ci sera véridique, plus personne n’y croira», avec pour conséquence un avantage certain en termes de maintien du pouvoir en place.

Quant à l’Ukraine, «bien sûr que Poutine peut l’attaquer» mais Ponomarev voit principalement dans le renforcement de la présence des troupes russes à la frontière un moyen de pression envers Kiev afin que les villes de Donetsk et de Lugansk ne retombent pas dans l’escarcelle ukrainienne. En les reprenant, l’armée loyaliste, présente dans un rayon de 5km, ôterait en effet tout espoir aux républiques auto-proclamées de s’écrire un avenir séparatiste pro-russe. Une stratégie que n’entend pas faciliter le Kremlin.

L’héritage Eltsine

«Ce qui se passe aujourd’hui en Russie me fait d’une certaine façon penser au régime de Napoléon III, au XIXème siècle. On observe la même union entre forces de sécurité, bureaucratie et oligarques. Les mêmes stratégies de pouvoir, qui allient référendums et élections truqués, contrôle des médias et contrôle du Parlement. Ces deux époques sont très similaires, analyse Ponomarev. Or, le régime bonapartiste est tombé à compter de la défaite face à la Prusse, en 1870. Et c’est pour cette raison qu’il me semble que Poutine s’abstiendra d’entrer en guerre avec l’Ukraine, parce qu’une issue favorable à un tel conflit ne lui est pas acquise; qu’en cas de défaite, cela signerait sans doute sa fin de règne. Or, l’homme est suffisamment intelligent pour ne pas prendre un tel risque». A l’inverse, avancer ses pions en Biélorussie pourrait lui permettre de renforcer son image de dirigeant capable de redonner à son pays les contours d’une super puissance, bien plus qu’en lorgnant l’Ukraine ou les Etats baltes comme certains l’imaginent, poursuit-il. «Vous savez, le ‘poutinisme’ est un phénomène vraiment particulier, créé artificiellement par les libéraux russes des années 1990. Poutine n’a jamais gravi l’échelle du pouvoir. Il n’a jamais participé à des élections vraiment ouvertes et concurrentielles. Il a simplement été choisi par la famille Eltsine pour protéger son patrimoine du capitalisme sauvage qu’elle avait elle-même participé à mettre en place. Et il a réussi. Non seulement il a protégé leur capital mais il a fait fructifier celui de nombreuses élites du pays». Certes, Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien PDG de Ioukos, la compagnie pétrolière russe, «n’a pas été l’un de ces bénéficiaires mais celui-ci avait refusé de jouer selon les règles de Vladimir Poutine. A l’inverse, ceux qui ont accepté ces règles ont vu leur fortune croître démesurément».

Toile d’araignée

Cette toile d’araignée, habillement tissées par le chef de l’Etat russe lui permet aujourd’hui de superviser et de maîtriser tous les aspects du pouvoir: «Poutine est à la fois le contrôle et l’équilibre du pays». «Il est dans toutes les institutions. Le pouvoir, comme nous avons pu le voir avec Medvedev, n’est pas entre les mains d’un président mais entre celles de Poutine. Il n’est pas entre celles d’un Parlement ou d’un gouvernement mais encore une fois entre celles de Poutine. Et dès lors que celui-ci ne sera plus là, un combat entre chacune des autres personnalités du système sera inévitable et le vainqueur sera sans doute, me semble-t-il, la personne la plus sombre, la plus violente, la plus cruelle d’entre elles, à commencer par Igor Vsevolodovitch Guirkine, dit Strelkov», connu pour ses agissements en Ukraine. «Et si jamais, un tel combat venait à échouer, l’effondrement du pays ne serait pas à exclure».

Nouvelle génération de leaders

Navalny, Khodorkovski pourraient-ils être une option plus douce, plus démocratique? Ilia Ponomarev ne se fait guère d’illusion, soulignant qu’une telle perspective n’était à cette heure pas une option, les Russes n’ayant toujours eu que très peu d’estime pour les libéraux. Qui alors? « Il n’est pas à exclure que nous voyions émerger une génération de leaders de gauche ou nationalistes, mais qui soient véritablement nouveaux et n’ayant pas de sang sur les mains en Ukraine. Qui soient suffisamment progressistes pour orienter le pays dans une voie plus internationaliste, anti-impérialiste et pro-occidentale. Bien sûr, rien ne garantit que cette voie sera suivie mais nous devons y travailler. Et c’est bien là la clé: bien plus que de nous demander quand prendra fin le régime Poutine, la véritable question à nous poser est celle du ‘comment ?’».

Entretien: Olivier Védrine, Professeur (h.c.) et rédacteur en chef du Russian Monitor / Texte : Christophe Nonnenmacher, Directeur du Pôle européen d’administration publique de Strasbourg – PEAP

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