La guerre de la Russie contre l’Ukraine est celle de la Russie contre l’Europe

La Russie ne veut pas de l’Europe de Lisbonne à Vladivostok. Elle veut à la fois Vladivostok et Lisbonne.

En moins de 48 heures, la tribune de Viktor Medvedchuk sur l’issue du conflit au Donbass n’aura pas manqué de susciter de vives réactions en Ukraine. Face à un afflux de courriels et d’appels, nous avons fait le choix de proposer un droit de réponse aux opposants de l’auteur. Oleksiy Goncharenko, membre depuis 2014 de la Verkhovna Rada d’Ukraine (le Parlement ukrainien) et membre de la délégation ukrainienne auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, propose ici son analyse des réalités en cours et de leurs incidences potentielles à l’échelle continentale.

(Par Oleksiy Goncharenko) – Récemment, Viktor Medvedchuk, politicien ukrainien pro-russe, publiait dans ces colonnes un article définissant, selon lui, les causes du conflit militaire encore en cours en Ukraine. De son point de vue, l’origine du problème tiendrait à ce que «des puissances non européennes, qui ne veulent pas d’une Europe forte et autonome, appliquent le principe du ‘diviser pour mieux régner’ et brisent (ce faisant) depuis sept ans un ‘pont naturel (entre) entre l’Est et l’Ouest du continent» et leur «développement dynamique». Poursuivant, Medvedchuk indiquait que «ces puissances ne (verraient ainsi) pas d’un bon œil de bonnes relations entre l’Union européenne et la Russie, entre l’UE et l’Asie». Autres sources du conflit invoquées par ce dernier: la prédominance d’un «discours nationaliste radical en Ukraine», une violation «des droits des minorités», la «destruction des d’industries à forte intensité scientifique héritées de l’URSS et liées au marché de la Russie et d’autres pays de la CEI», ou encore «l’effondrement de l’économie» et un «allongement du nombre de victimes de ce conflit». En ligne de mire: le gouvernement ukrainien et quelques grandes puissances étrangères. Ceci, tout en limitant son propos à des phrases d’ordre général et en soutenant la poursuite des actions militaires. Nul mot, en réalité, sur la véritable raison du conflit que le président du Parti social-démocrate uni (SDPU) prend bien soin de garder le silence: celui de l’agression territoriale russe.

Medvedchuk: une figure politique indissociable de Poutine

Pour comprendre cette forme d’amnésie, un premier point d’éclairage tient à la personne même de Viktor Medvedchuk, dont la figure est indissociable du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine. Le chef de l’Etat russe n’est en effet pas uniquement le parrain de sa fille. Il est aussi son parrain politique. Des liens exclusifs que tous deux entretiennent, Medvedchuk tire son influence: sans Poutine, son capital politique personnel serait proche de zéro, en dépit d’une d’une maîtrise des outils de propagande russe et d’une longévité certaine dans le champ politique ukrainien. Sans surprise, cette donnée essentielle à la compréhension de son «analyse» de la guerre en Ukraine est absente de son propos.

Dans les faits, Medvedchuk est un représentant classique de la cinquième colonne et un leader direct des intérêts russes en Ukraine. De fait, il ne peut nommer directement le véritable initiateur du conflit – Vladimir Poutine. Car, si l’on s’en tient aux faits objectifs c’est bien la Russie qui a lancé l’agression contre l’Ukraine en 2014, en occupant la Crimée, puis en soutenant les mouvements terroristes dans Donbass et dans d’autres villes ukrainiennes. L’objectif du Kremlin est connu de tous, et n’est qu’un secret de Polichinelle pour le monde démocratique: priver l’Ukraine de sa souveraineté, la maintenir dans son orbite et lui bloquer toute perspective d’intégration euro-atlantique. Les pays européens l’ont en partie compris et ne ménagent pas leurs efforts pour soutenir l’Ukraine, à commencer par la France, ce dont nous leur sommes extrêmement reconnaissants, notamment au sein du groupe d’Amitié France-Ukraine que j’ai co-présidé.

Si Viktor Medvedchuk limite son analyse à des termes flous que l’on pourrait résumer à la main plus ou moins visible de «puissances» déstabilisatrices étrangères pour assoir son propos sur le conflit ukrainien, cela n’est donc en rien dû au hasard. Après tout, l’homme ne peut afficher ouvertement dans un média francophone une stratégie de propagande pro-russe pilotée depuis le Kremlin. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans le message qu’il cherche à essaimer: de l’avis de Medvedchuk et de ses maîtres du Kremlin, l’Ukraine est désormais «sous le contrôle externe» et «l’influence dangereuse» de l’Ouest. Sur le sol ukrainien, les pays d’Europe et les États-Unis sont constamment critiqués par l’ensemble des forces pro-russes, y compris Medvedchuk. Mais là encore, l’homme prend bien soin, dans son analyse, de ne pas afficher cette réalité.

Ne nous y trompons pas. L’Ouest ne doit pas se leurrer: «L’Europe de Lisbonne à Vladivostok» contribue partiellement à la normalisation des relations avec la Russie de Poutine. Et c’est là, malheureusement, une stratégie dangereuse et perdante pour l’Europe. La pacification de l’agresseur ne fonctionne pas. Il est important ici de comprendre une chose fondamentale: la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine est une guerre de la Russie contre l’Europe, dont font partie l’immixtion de publications de politiciens pro-russes dans des médias occidentaux. Les visées ne sont pas nouvelles pour Moscou: détourner l’attention de ses propres crimes pour en rejeter la responsabilité sur les autorités ukrainiennes. Mais tout autant que la réputation de Vladimir Poutine ne pourra être blanchie, les taches de sang ne pourront être si facilement lavées.

Pour mettre fin à la guerre en Ukraine, la Russie doit retirer ses troupes

Le secret pour mettre fin à la guerre en Ukraine est simple; bien plus que ne laisse imaginer Viktor Medvedchuk: la Russie doit retirer ses troupes et ses mandataires des territoires occupés. Et c’est là le seul et unique plan qui peut être entendu et suivi. Et c’est en forçant Poutine à le faire en continuant et en intensifiant les pressions, les sanctions, économiques, politiques, juridiques, ainsi qu’en renforçant l’Ukraine et ses forces armées, que mettre un terme à ce conflit sera possible.

Oui, la Russie est maintenant bloquée en Ukraine, mais uniquement du fait de la résistance désespérée des Ukrainiens. Mais si, faute de soutien du bloc occidental, le Kremlin venait à vaincre l’Ukraine, l’Europe serait à n’en pas douter la prochaine victime de la stratégie mise en place depuis le Kremlin. Pour rappel, celle-ci a d’ailleurs débuté, Moscou soutenant déjà un certain nombre de forces déstabilisatrices au sein de l’Union européenne. Et son interventionnisme ne manquera pas de grandir, possiblement jusqu’à l’agression ouverte. Soyons clairs et lucides: La Russie ne veut pas de l’Europe de Lisbonne à Vladivostok. Elle veut à la fois Vladivostok et Lisbonne. Et, si l’UE ne veut pas voir ce scénario prendre forme, c’est aujourd’hui en Ukraine qu’il importe d’y mettre un stop.

Oleksiy Goncharenko est membre depuis 2014 de la Verkhovna Rada d’Ukraine (Parlement ukrainien). Egalement membre de la délégation ukrainienne auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe depuis 2015, il a été co-président du groupe d’amitié parlementaire France-Ukraine de 2014 à 2019 / Photo: DR

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