Après le Slovaque Maroš Šefčovič (Relations interinstitutionnelles et prospective), l’Irlandais Phil Hogan (Commerce international) et la Bulgare Mariya Gabriel (Innovation et jeunesse) hier, Janusz Wojciechowski aura à son tour aujourd’hui à convaincre les députés européens du bien fondé de sa candidature au poste de Commissaire européen chargé de l’Agriculture. Au menu du jour: réforme de la PAC, soutien aux jeunes agriculteurs et éleveurs, accords commerciaux internationaux et atteinte des objectifs environnementaux prônés par l’Union, sur la base de ses premières réponses écrites aux questions du Parlement.
Quelle est votre vision à long terme pour l’agriculture et les zones rurales?
Le secteur agricole, qui subit de profondes transformations se trouve face à des enjeux de taille: le processus de mondialisation en cours, les changements climatiques, les évolutions des habitudes des consommateurs, la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de mieux protéger nos ressources naturelles et d’accorder une plus grande attention à la protection de la santé humaine et animale. Tous ces éléments requièrent une action résolue au niveau européen, dans une perspective à long terme, pour aider notre communauté agricole à s’adapter à un monde en mutation. Parallèlement, nous devons nous attacher à rendre notre agriculture plus durable et atténuer les incidences négatives sur notre climat et notre environnement. Toutefois, nous ne pourrons y parvenir qu’en renforçant l’efficacité de notre politique et en instaurant un système de soutien plus équitable, qui garantisse que les ressources publiques sont affectées là où elles sont le plus nécessaires.
Plus précisément, où et comment affecter ces ressources ?
Je soutiens l’instauration de règles impératives, au niveau de l’UE, visant à redistribuer les aides directes et à les rendre dégressives, au bénéfice des exploitations familiales de plus petite taille. En outre, nos jeunes agriculteurs ont également besoin d’un soutien plus ciblé pour faire face aux obstacles qu’ils rencontrent pour entrer dans le secteur (comme l’accès à la terre, au crédit et à la connaissance). C’est précisément dans ce but que 2% du financement au titre du premier pilier sont réservés aux aides à l’installation et aux paiements en faveur des jeunes agriculteurs. Les défis qui se posent aujourd’hui sur le plan du climat et de l’environnement nécessitent une transformation de notre système agricole. Les propositions de la Commission de 2018 constituent une base solide pour moderniser et simplifier la PAC et accroître ses ambitions en matière d’environnement et de climat. Ma première priorité sera de travailler et de négocier avec le Parlement européen et le Conseil pour parvenir à un accord politique. Je souhaite que ces négociations aboutissent à un résultat ambitieux sur le plan de la sécurité alimentaire et des objectifs en matière d’environnement et de climat, et contribuent à la réalisation des objectifs généraux du Green Deal européen, y compris ceux qui découlent de la stratégie de la Commission «de l’exploitation à l’assiette» et de l’ambition zéro pollution. Les futurs plans stratégiques de la PAC constitueront l’outil approprié pour faire en sorte que les mesures et le financement soient ciblés et efficaces. Dans le même temps, nous devons reconnaître qu’une approche unique n’est pas adaptée à une Union à 27 et que nous devons accorder davantage de souplesse aux États membres pour qu’ils puissent concevoir leurs interventions en fonction de leurs besoins et de leurs spécificités. En tant qu’auditeur expérimenté, je crois en une évolution vers une politique fondée sur la performance plutôt que sur la conformité et je pense que les dépenses publiques doivent être axées sur l’obtention de résultats mesurables.
Les producteurs primaires de certains produits agricoles sont préoccupés par le fait que l’agenda commercial poursuivi par la Commission actuelle a conduit à des concessions dans l’accès au marché intérieur pour des produits fabriqués selon des normes autres que celles applicables dans l’Union. En dépit des assurances données, les agriculteurs s’alarment et considèrent que l’on sacrifie l’agriculture européenne pour obtenir des concessions commerciales dans des secteurs non agricoles/alimentaires. Comment pouvez-vous garantir que les préoccupations de la communauté agricole soient prises en compte dans les négociations commerciales et que les normes exigeantes de l’Union en matière d’environnement, de protection sociale, de sécurité alimentaire et de bien-être animal soient respectées dans le cadre des importations en provenance de pays tiers?
L’UE est depuis longtemps un ardent défenseur du système commercial mondial fondé sur des règles et partisane d’une politique commerciale durable, ce que je considère particulièrement important. L’Europe est en outre une exportatrice hautement compétitive de produits agroalimentaires, dont la valeur annuelle se chiffre à quelque 140 milliards d’euros. Les produits agroalimentaires de l’Union européenne sont considérés comme sûrs, produits de manière durable, nutritifs et de haute qualité. Je veillerai à ce que cela reste notre unique argument de vente. Mais face à la pression croissante du changement climatique, nous ne pouvons pas partir du principe que notre sécurité alimentaire sera pleinement assurée dans les décennies à venir. Dans ce contexte, la Commission européenne poursuivra son programme commercial, dont l’objectif est de promouvoir et de défendre les intérêts de tous les citoyens de l’UE, y compris les agriculteurs et les consommateurs, et d’intégrer les préoccupations en matière de climat et de durabilité dans notre politique commerciale. Les accords commerciaux conclus par l’UE ont à ce titre été soigneusement calibrés en tenant compte de la situation particulière des secteurs sensibles dans chaque accord. Ces mesures comprennent des contingents tarifaires soigneusement calibrés, des droits contingentaires et la segmentation des produits, de longues périodes de programmation et des instruments de sauvegarde, afin de garantir un traitement équitable et équilibré qui présente des perspectives et des avantages pour les deux parties.
L’Union a-t-elle seulement moyen d’être entendues et suivie en ce sens sur la scène internationale ?
En tant que deuxième plus grand importateur et premier exportateur mondial de denrées alimentaires, l’UE est bien placée pour promouvoir des normes alimentaires de haute qualité dans le monde entier et est très active dans les enceintes internationales compétentes pour relever le niveau des normes en matière de protection de l’environnement, de protection sociale, de sécurité alimentaire et de bien-être des animaux, qui s’appliquent à tous les producteurs dans le monde entier. Nos règles et nos normes ne sont pas négociables. Toutes les importations dans l’UE doivent respecter les règles de l’UE en matière de santé humaine, de sécurité alimentaire et de santé animale et végétale. Les normes sanitaires et phytosanitaires de l’UE s’appliquent de la même manière à tous les produits sur le marché intérieur de l’UE, qu’ils soient importés ou produits dans l’Union. En outre, la présidente élue, Mme Von der Leyen, a clairement indiqué que «tout nouvel accord commercial conclu comprendra un chapitre consacré au développement durable».
L’un des principaux objectifs de la future PAC est justement de renforcer la contribution de l’agriculture européenne à la protection de l’environnement, de la biodiversité et des paysages et la lutte contre les incidences du changement climatique. Quels sont, au regard de cette réforme, les ajustements possibles dans ces domaines?
Pour ce qui est de l’environnement, mon expérience me permet d’affirmer qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer à un bon agriculteur de quelle manière il doit s’occuper de ses terres ou de ses animaux. C’est ce qu’il fait tous les jours. Je mesure pleinement l’ampleur des défis auxquels l’UE est confrontée en ce qui concerne l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets, de même qu’en ce qui concerne la biodiversité et les ressources naturelles du sol, de l’eau et de l’air. Relever ces défis s’accompagnera de nombreuses tensions et pressions sociales et économiques, que nous devons transformer en opportunités. Notre agriculture et nos zones rurales doivent jouer leur rôle dans ce processus difficile. En particulier, la PAC devrait aider les agriculteurs européens à améliorer la durabilité de leur production de denrées alimentaires et d’autres ressources naturelles.
Comment atteindre un tel objectif ?
Chaque État membre sera encouragé à indiquer dans son plan stratégique relevant de la PAC de quelle manière il compte utiliser les instruments de la politique agricole pour contribuer à la réalisation des objectifs européens ambitieux découlant de la législation de l’UE en ce qui concerne le changement climatique, l’énergie, l’eau, la qualité de l’air, la biodiversité et les pesticides. Par exemple, tous les États membres sont tenus de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre conformément au règlement sur la répartition de l’effort, qui concerne une partie des émissions provenant de l’agriculture. Il doit ressortir des plans nationaux relevant de la PAC quelle contribution la PAC apportera à la réalisation de cet objectif.
La proposition de réforme de la PAC contient par ailleurs des éléments concernant les normes de base à respecter par les agriculteurs, principalement dans le cadre du système de «conditionnalité» renforcée. Plusieurs normes nouvelles et améliorées sont axées sur l’environnement et le climat. L’une d’elles vise la protection des zones humides et des tourbières, qui constituent des réserves de carbone importantes. On peut citer aussi l’utilisation d’un outil de gestion des nutriments pour une agriculture durable, qui contribue à améliorer la gestion des nutriments. En outre, certaines obligations découlant de la directive sur l’utilisation durable des pesticides ont également vocation à être intégrées dans le système de conditionnalité. Il s’agit d’un instrument parmi d’autres au moyen duquel la PAC contribuerait à améliorer les performances du secteur agricole au regard de l’utilisation des pesticides. L’innovation, la recherche et le transfert de connaissances sont essentiels pour aider les agriculteurs dans cette transition. La nouvelle mission Horizon 2020 consacrée aux sols présente une approche novatrice qui vise à établir des liens en matière d’innovation avec les besoins des agriculteurs. Quant aux instruments de financement proposés, ils sont tout aussi importants que le système des normes de base dans le cadre de la future PAC. Il est essentiel d’inciter les agriculteurs à adopter des pratiques durables, et le nouvel instrument proposé, à savoir les programmes écologiques, répond précisément à cet objectif. Cela permettrait de consacrer une part considérable du financement du premier pilier de la PAC à la protection de l’environnement et du climat, en plus du soutien au développement rural existant.
Comment parviendriez-vous à un juste équilibre entre les préoccupations environnementales et la nécessité de produire des aliments à prix équitable?
J’ai toujours été un fervent défenseur de la politique de développement rural et je veillerai au maintien des paiements agroenvironnementaux et climatiques, qui ont fait leurs preuves, ainsi que du soutien aux investissements respectueux de l’environnement (y compris le boisement). La formation, l’innovation et la coopération seront également encouragées, car elles sont essentielles pour assurer la diffusion de pratiques innovantes permettant de concilier les besoins en denrées alimentaires à des prix équitables avec les préoccupations environnementales et climatiques. Je tiens à souligner que, dans l’ensemble, chaque État membre devra, par son utilisation de la PAC, faire preuve d’une plus grande ambition qu’au cours de la période actuelle dans le domaine de l’environnement et du climat et je compte sur le soutien du Parlement européen pour rendre cela possible par l’adoption d’actes juridiques allant dans ce sens. Je souhaite ardemment trouver un accord politique sur la réforme de la PAC qui offre la possibilité de soutenir des actions ciblées en matière de lutte contre le changement climatique et d’autres défis environnementaux dans les exploitations. Plus concrètement, je veux que les agriculteurs puissent bénéficier d’une aide leur permettant d’assurer une meilleure rotation des cultures et une gestion appropriée du travail du sol, de fixer davantage de carbone dans le sol et d’augmenter ainsi la capacité des stocks de carbone des terres arables. Ils pourraient être associés à un programme écologique au titre du premier pilier de la PAC, afin de laisser une partie supplémentaire de leurs terres hors production et créer ainsi des havres de biodiversité. En outre, les agriculteurs pourraient recevoir une compensation au titre du deuxième pilier de la PAC pour réduire leur utilisation de pesticides. L’agriculture est le seul secteur où les émissions de polluants atmosphériques augmentent et le seul secteur où la pollution atmosphérique n’est pas directement réglementée. Nous devrions aider les agriculteurs à réduire ces émissions.
Par quel biais cette réduction pourrait être réalisée ?
Ils pourraient utiliser les aides pour réaliser des investissements qui leur permettraient de rendre leurs systèmes de stockage ou d’irrigation plus efficaces ou de passer à l’agriculture de précision, ou encore de se convertir à l’agriculture biologique. Je tiens à ce que les hautes ambitions du Green Deal européen se traduisent par un soutien de même ampleur aux exploitations agricoles européennes, afin d’aider les familles agricoles à se préparer à un avenir durable.
Photo : Janusz Wojciechowski, Commissaire désigné à l’Agriculture / Photographe Alexis Haulot/ © European Union 2016 – Source : EP
© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.