Surveillance de masse: La France bientôt devant la Cour de justice de l'Union européenne?

Après avoir obtenu du Conseil constitutionnel de l’abrogation du régime de surveillance généralisée des communications empruntant la voie hertzienne dans la loi renseignement publiée le 24 juillet 2015, la Quadrature du Net, la FDN et la FFDN avec le soutien des Exégètes amateurs. reviennent cet après-midi dans l’arène judiciaire. Objet de la requête de l’association française de défense des libertés numériques: la contestation, devant le Conseil d’Etat, de mesures restées en suspens dans la loi ainsi que d’un «régime distinct qui, en France et depuis sept ans, impose aux opérateurs téléphonique et Internet, ainsi qu’aux hébergeurs de contenus en ligne, de conserver pendant un an des ‘données de connexion’ sur l’ensemble des utilisateurs (qui parle à qui, d’où, avec quelle adresse IP, etc.)».

Prenant appui sur les décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne dans les affaires «Digital Right Ireland» et «Tele2 Sverige», la Quadrature du Net se montre particulièrement confiante quant à l’issue de l’audience d’aujourd’hui. Dans la première affaire, la Cour avait en effet annulé le 8 avril 2014 une directive européenne qui, depuis 2006, imposait un même régime de conservation généralisée dans toute l’Union. Pour la Cour, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’opposait à une telle surveillance qui, par définition, considère comme suspecte l’ensemble de la population. Dans la seconde affaire, jugée le 21 décembre 2016, «Tele2 Sverige», où la Cour était interrogée par des juges suédois et anglais, celle-ci avait alors reconnu que les lois de ces deux pays, qui prévoyaient une conservation généralisée des données de connexion, violaient elles-aussi la Charte de l’Union.

«C’est exactement la solution que nous recherchions depuis le début, a relevé hier la Quadrature du Net: nous demandons au Conseil d’État, à l’instar des juges suédois et anglais, d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur la validité de notre régime. En effet, depuis dix-huit mois, le droit français viole le droit de l’Union en refusant d’abroger son régime de conservation généralisée, ce que la Cour de justice impose pourtant de façon évidente».

Or, «après deux années de silence, dans ses toutes dernières écritures », une saisine de la juridiction européenne n’est plus à écarter. «Le Premier ministre a admis que, dans les deux procédures que nous avons engagées devant le Conseil d’État, il serait utile d’interroger la Cour de justice sur la validité de la conservation généralisée française, explique l’association. Sans doute espère-t-il convaincre la Cour de revenir sur ses décisions passées, pour les contredire», mais «nous acceptons ce débat car, de notre côté, nous espérons (la) convaincre d’éloigner encore plus fermement la surveillance de masse!».

Soutien de dernière minute, dans cette démarche, pour l’association qui vient par ailleurs de lancer une campagne européenne «pour pousser la Commission européenne à agir contre les dix-sept États membres de l’Union européenne qui, comme la France, violent le droit de l’Union en maintenant un régime de conservation généralisée des données de connexion», celui du rapporteur public du Conseil d’État (chargé d’assister ce dernier dans la prise de ses décisions). Selon la Quadrature, celui-ci aurait en effet annoncé hier envisager de conclure en faveur de la transmission d’un tel débat à la Cour de justice. «Si le Premier ministre et le rapporteur public épousent notre volonté de porter la question au niveau européen, il semble très peu vraisemblable, analyse la Quadrature, que le Conseil d’État le refuse lorsqu’il rendra sa décision».

Photo: nolifebeforecoffee sous creative commons