Brexit: Pourquoi ça bloque (toujours)

«Pour dire les choses simplement et franchement, avec objectivité, au moment où je vous parle, nous ne sommes pas au point de trouver un accord». Négociateur en chef pour l’Union européenne chargé de mener les négociations liées au Brexit, Michel Barnier ne cachait plus hier son peu d’espoir quant à la recherche d’un accord entre Bruxelles et Londres sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. A une semaine du Conseil européen et à quelques jours de la date du 31 octobre qui a été agréée avec le précédent gouvernement britannique, «une sortie désordonnée» semble de plus en plus probable, les négociations échoppant sur deux axes majeurs.

Premier d’entre eux, la question de la frontière, et le contrôles sur les biens sur l’Ile d’Irlande est révélateur d’une insécurité douanière à laquelle se refuse Bruxelles. «Le gouvernement de M. Johnson a rejeté dès son arrivée le backstop, qui est une sorte d’assurance ou de filet de sécurité sur lequel nous nous étions entendus avec le gouvernement de Theresa May C’est un fait, a rappelé l’ancien ministre français des Affaires étrangères. Dans le même temps, le Premier ministre reconnait qu’un alignement règlementaire pour les biens est indispensable entre l’Irlande du Nord et l’Union européenne, et nous sommes d’accord sur ce point. En revanche, pour résoudre le problème de contrôles douaniers, le Royaume-Uni propose tout simplement que nous prenions ensemble un engagement juridique pour éviter ‘en toutes circonstances des contrôles douaniers et règlementaires ou toute infrastructure physique à la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord’». Un objectif certes partagé par l’Union mais qui, en l’état actuel des propositions du 10 Downing Street irait, dans sa mise en place, à l’encontre des règles de fonctionnement du marché unique. «Ce qui nous est demandé en réalité, c’est d’accepter un système qui n’est pas développé, qui n’est pas testé, de contrôles dispersés sur l’Ile d’Irlande, système qui reposerait largement sur des exemptions et des dérogations au code douanier européen, des technologies qui restent à développer, des changements au droit international prévu par le Common Transit Convention, ainsi qu’un système de ‘compliance’ nouveau, mais sans les garanties prévues par le Protocole». Autant de lignes rouges que ne semblent pas disposés à accepter les Vingt-sept qui, par l’entremise de Michel Barnier, soulignent qu’«en Irlande, comme partout ailleurs, nous avons besoin de contrôles opérationnels, réels, crédibles. C’est la crédibilité du marché unique qui est en cause, et donc la crédibilité vis-à-vis des consommateurs, des entreprises et des pays tiers avec lesquels nous avons des accords».

Plus politique, le second axe de clivage ne concerne pas l’accord de retrait mais la déclaration politique, qui décrit la future relation à reconstruire dans tous les domaines, que le retrait britannique se fasse de manière négociée ou qu’il prenne la forme d’un Hard Brexit. «Aujourd’hui, explique Michel Barnier qui appelle toujours de ses vœux la conclusion d’un accord avec Londres, M. Johnson nous demande de nous concentrer pour l’avenir de notre relation économique seulement sur un accord de libre-échange basique et pas sur d’autres options que nous avions laissées ouvertes dans la déclaration politique et il nous demande aussi de supprimer les références que nous avions agréés avec Theresa May sur un point très important qui est le ‘level playing field’, c’est-à-dire une règle du jeu de base, un socle de règles en matière fiscale, d’aide d’Etat, de droits sociaux, de droits environnementaux, de droits des consommateurs. Et donc nous sommes face à cette demande qui laisse entrevoir le risque pour nous, avec un accord de libre-échange basique, de faire face à une compétition réglementaire, voire à un risque de dumping fiscal, social ou environnemental que nous n’accepterons pas».

Photo: Intervention de Michel Barnier devant le Parlement (Bruxelles) à l’occasion de la préparation du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019 / Photographe : Alexis Haulot / © European Union 2019 – Source : EP