Allemagne - Ukraine: Au-delà de la Bundeswehr…

La prochaine génération d’avions et de chars naîtra de la coopération avec les partenaires européens, particulièrement les Français

 

La nécessité d’une stratégie militaire européenne, chère à Emmanuel Macron, sera mieux prise en compte

«Monsieur le Chancelier, vous avez fait une bonne déclaration gouvernementale!». A peine élu président du groupe CDU/CSU du Bundestag, Friedrich Merz, nouveau président de la CDU, a quasiment étrenné ses nouvelles fonctions de responsable du principal groupe d’opposition parlementaire, par des félicitations adressées à Olaf Scholz! Ce dernier venait de prendre la parole devant les députés pour dénoncer l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Vladimir Poutine!

«Cette agression marque un changement d’époque (‘Zeitenwende’)… Elle menace l’ensemble de l’organisation sociétale héritée de la période de l’après-guerre (‘Nachkriegsordnung’)… Face à cette situation, il est de notre devoir de soutenir l’Ukraine dans sa défense contre l’armée d’invasion (‘Invasionsarmee’) de Vladimir Poutine. L’Allemagne se tient étroitement aux côtés de l’Ukraine.»

100 milliards pour la Bundeswehr!

Le discours s’accompagnait, on le sait, de mesures concrètes: l’annonce de la livraison d’armes à l’Ukraine, la décision de non-mise en service du gazoduc «Nord Stream 2» qui devait incessamment transporter le gaz russe vers l’Allemagne en passant sous la Mer Baltique («on n’aurait jamais dû le réaliser», souligne Robert Habeck, le Ministre de l’économie et du climat). Scholz annonce la création d’un fonds spécial doté de 100 milliards d’euros pour moderniser et équiper la Bundeswehr: il signale que l’Allemagne appliquera, dès cette année, la règle définie en 2014 par les membres de l’OTAN qui s’étaient engagés à consacrer au moins 2% de leur PIB à la défense (l’Allemagne se contentait, jusqu’ici, d’une moyenne de 1,6%).

Hier encore, le chancelier Scholz, particulièrement discret en matière de «Ostpolitik» (politique vis-à-vis de l’Est), semblait vouloir poursuivre la politique de relative tolérance vis-à-vis de la Russie, initiée, en son temps, par l’ex-chancelier (1969/1974) Willy Brandt. Hier encore, la Ministre (SPD) des Affaires étrangères Annalena Baerbock s’était prononcée contre la livraison d’armes à l’Ukraine «à qui une escalade militaire n’apporterait pas de sécurité supplémentaire!…» Christine Lambrecht, la Ministre (SPD) de la Défense, proposait l’envoi de… 5.000 casques et de matériel médical. Reçu par Joe Biden, le chancelier avait refusé de se prononcer sur l’avenir de Nord Stream 2 car il ne fallait pas mettre «toutes les représailles possibles sur la table.»

Dans le contrat de coalition conclu entre le SPD, les Verts et le FDP, l’avenir de la politique de défense et le sort de la Bundeswehr, malmenée depuis des années par les restrictions budgétaires, n’avaient guère été évoqués. C’était hier et parfois avant-hier: avant, en tout état de cause, l’invasion de l’Ukraine qui a provoqué une prise de conscience traumatique chez les dirigeants et des revirements spectaculaires encore inimaginables il y a peu.

L’Allemagne, 4ème exportateur d’armes dans le monde!

Avec la livraison d’armes à l’Ukraine, il y a eu entorse officielle à la vieille doctrine qui voulait que l’Allemagne, quatrième exportateur d’armes derrière la France, ne livrait pas d’armements à des pays en crise ou en guerre: certes, la règle avait déjà été discrètement contournée, mais jamais officiellement. La décision prend un poids particulier si on songe qu’elle intervient dans un climat interne difficile! «Dans les secteurs des munitions, des véhicules, des bateaux, des avions, des pièces de rechange, nous avons d’énormes problèmes. Il est temps que les politiques se réveillent. Nous ne pourrons pas livrer ce que nous n’avons pas nous-même!», soulignait Andre Wüstner, président de la fédération allemande des «membres» de la Bundeswehr («Bundeswehrverband»). «La Bundeswehr a souffert à en mourir d’une politique d’économies» («Kaputtgespart»), avait déclaré un ancien inspecteur des armées.

Ancienne Ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer a reconnu – un peu tard: «Après la Georgie, la Crimée, le Donbass, nous n’avons rien préparé qui aurait pu dissuader Poutine!» Et Marie-Agnes Strack-Zimmermann, Présidente (FDP, parti aujourd’hui membre de la coalition au pouvoir) de la Commission de la Défense du Bundestag, a accusé: «La Groko n’a rien fait pour renforcer la Bundeswehr!» Avec la nouvelle coalition (et surtout la guerre en Ukraine!), les temps changent et Christian Lindner, Ministre (FDP) des Finances, qui pourtant, ne cesse de plaider pour le rétablissement (dès 2023!) des équilibres budgétaires, va jusqu’à lancer: «Avec les milliards que nous allons y investir, nous ferons de la Bundeswehr l’une des armées les plus efficaces et les plus réactives d’Europe!»

La coopération avec la France

Olaf Scholz précise de son côté: «Cela va coûter beaucoup d’argent, mais ces dépenses sont compatibles avec un pays de notre taille et de notre importance en Europe. «La modernisation sera conduite en liaison», dit-il, «avec les alliés de l’Union européenne et de l’OTAN: la prochaine génération d’avions et de chars, naîtra de la coopération avec les partenaires européens, particulièrement les Français. La nécessité d’une stratégie militaire européenne, chère à Emmanuel Macron, sera mieux prise en compte.

II va sans dire que les rapports – sans doute trop tolérants – d’hier avec la Russie, ne seront plus ce qu’ils ont pu être. Il est intéressant de relever deux attitudes significatives de cette évolution. L’ex-Chancelier Gerhard Schröder, un proche de Poutine et lié à plusieurs sociétés russes du secteur de l’énergie (dont le géant Gazprom, porteur de Nord Stream 2), a demandé l’arrêt de l’invasion en Ukraine. De son côté, Angela Merkel, qui a passé pendant longtemps pour être l’interlocutrice préférée de Vladimir Poutine, est sortie de sa retraite pour réclamer, à son tour, l’arrêt d’une guerre qu’elle condamne.

Sauver les dernières centrales nucléaires?

Reste la menace que la guerre russo-ukrainienne fait peser sur l’approvisionnement en énergie du pays: les réflexions menées en la matière ont été relancées en raison de la dépendance allemande à l’égard de la Russie. On l’a dit et redit: l’Allemagne importe de la Russie 50% du charbon qui alimente ses centrales, 35% de son pétrole et 55% du gaz naturel (100% du gaz consommé dans les Länder de l’ex-Allemagne de l’Est!). Une partie du gaz naturel transite par Nord Stream 1 à travers l’Ukraine.

Pour essayer de persuader l’Allemagne de renoncer à Nord Stream 2 qui risquait d’augmenter la dépendance allemande du gaz russe, Donald Trump avait proposé, sans succès, le gaz de schiste américain. La proposition revient sur le tapis: deux nouveaux terminaux vont être construits pour recevoir le gaz (liquéfié) US et Robert Habeck négocie avec les Américains pour bâtir une politique d’importation de gaz d’Outre-Atlantique!

Le ministre, tout écologiste qu’il soit, se voit secoué par les effets des tensions avec la Russie: pour compenser les effets de l’arrêt des centrales nucléaires, il ne peut plus écarter une prolongation de la vie des centrales à charbon qui devaient s’arrêter en 2038! Pire, il ne serait plus opposé à la prolongation de la vie des trois dernières centrales nucléaires allemandes dont l’exploitation devait s’arrêter cette année! Markus Söder, le Ministre-Président (CSU) de Bavière, a carrément demandé qu’on n’arrête pas, comme cela avait été prévu, la centrale ISAR 2 installée dans son Land!

Qui aurait prévu qu’après les secousses de la Covid-19, un autre tremblement de terre mettrait en cause les grands choix allemands? Ils iront, sans doute, jusqu’à la redéfinition du rôle du pays sur la scène internationale. L’Allemagne ne pourra plus se cacher derrière ses réussites économiques pour refuser sa contribution à la résolution des problèmes de notre temps, n’en déplaise à ceux qui, déjà, à l’extrême-gauche (allemande et française !) s’interrogent sur la portée d’un… réarmement allemand!

Alain Howiller est chroniqueur pour Eurojournalist.eu, ancien rédacteur en chef des Dernières nouvelles d’Alsace / Photo: Capture d’écran du discours du Chancelier allemand Olaf Scholz, devant le Bundestag, à propos de la situation en Ukraine, Dimanche 27 février 2022

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