Poutine ou le sens de la dramaturgie horrifique

Reconnaître l’indépendance des Républiques auto-proclamées de Donetsk et de Luhansk est une nouvelle ligne rouge que Vladimir Poutine n’aura finalement pas manqué de franchir.

 

Quelle sera désormais la prochaine étape de son script, alors qu’il n’a pas même encore (trop) usé de la menace nucléaire pour nous effrayer?

La situation actuelle en Ukraine n’est pas sans rappeler les plus traditionnels scenarii de films d’horreur. Le succès de ces films repose sur l’anticipation de la peur de l’inconnue et l’injection d’une dose d’anxiété et d’adrénaline à la fois. Les méchants sont au cœur de l’histoire. Ils sont effrayants, sont au cœur de l’intrigue, y apportent une singularité et, s’ils venaient à ne pas remplir ces fonctions, seraient responsables de l’échec du film. Dans notre cas, le méchant doit être terrible, de manière régulière, jusqu’au moindre petit détail. Le rôle joué par Vladimir Poutine me rappelle celui du Joker, un personnage empreint tout à la fois de sadisme et d’un certain sens de l’humour.

La déclaration de Poutine, «Like it, don’t like it – be patient, my beauty», qui visait à enjoindre Kiev à se conformer aux accords de Minsk, est très révélatrice en ce sens: le voleur est un souverain phallocentrique, doté de pouvoir sur les corps des victimes. Une référence aux aspects sexuels de thrillers plus érotiques. Un genre qui attire les réalisateurs fétichistes plus que les autres et combine non seulement l’histoire d’un maniaque masqué, mais aussi des éléments de pornographie soft et hard. En ce sens, l’image d’un Poutine violeur revêt une certaine logique en termes de genre classique.

Le mal invisible, souvent pire que le visible

Le fait est que le mal invisible est souvent pire que le visible. L’imagination humaine a toujours dépeint des images bien bien plis effrayantes que celles que nous pouvons voir à l’écran. Pourquoi? Parce que chacun y ajoute ses peurs les plus noires, profondes. Au début de la plupart des films d’horreur, on ne vous montre qu’une image fugace du mal qui vous attend dans de sombres recoins. Cela est très semblable aux craintes de guerre que nous vivons, qui sont bien plus angoissantes psychologiquement que l’attaque réelle de troupes russes.

De nombreux films modernes utilisent des artifices, soudains, pour exacerber la peur, tel un chat qui, sans que l’on s’y attende, surgit de l’ombre, ou une personne qui frappe à la porte sans que l’on sache à ce moment précis qu’il ne s’agit que d’un ami. Les réalisateurs jouent sur l’attente bien plus que sur la véritable peur; il créent un climat d’expectative: celle que quelque chose sorte de nulle part et nous saute dessus. Mais rien ne vient. Là encore, cela rappelle à de nombreux égards notre anticipation de l’invasion russe du 16 février et l’annonce par Poutine d’un retrait. Une scène calme qui, finalement, renforce l’effet d’un terrible final. Les réalisateurs utilisent souvent un «faux final», avant qu’alors que le public ne se calme et que, subitement, l’intrigue finisse par prendre une dimension inattendue et choquante.

La menace d’une attaque terroriste pour préparatif

La plupart de ces films, à commencer par The Shining, Aliens ou L’Exorciste marquent des pauses entre deux scènes éprouvantes. La tension s’accroit jusqu’à ce qu’elle devienne presque impossible à supporter et que l’on soit submerger par les pires scène qui ne peuvent qu’être imaginées. Par analogie, l’évacuation ces derniers jours de civils suite à la menace d’une attaque terroriste en République populaire auto-proclamée de Donetsk était démonstrative d’une telle tension conduisant à la crainte d’une invasion russe, qui ne vint pas… jusqu’à hier soir. Reconnaître l’indépendance des Républiques auto-proclamées de Donetsk et de Luhansk est une nouvelle ligne rouge que Vladimir Poutine n’aura finalement pas manqué de franchir. Quelle sera désormais la prochaine étape de son script, alors qu’il n’a pas même encore (trop) usé de la menace nucléaire pour nous effrayer? Rien n’indique qu’après un moment d’accalmie, propre aux films d’horreur, il n’en vienne à nous mener vers une nouvelle scène tout aussi effrayante ou pire, dictée par un sens de l’humour horrifique qui lui appartient.

 

Aleksandra Klitina est ancienne vice-Ministre ukrainienne de l’Infrastructure (2019) / Article rédigé en amont de la reconnaissance par Vladimir Poutine de l’indépendance des Républiques auto-proclamées de Donetsk et de Luhansk / Photo: Signature des documents reconnaissant les Républiques populaires de Donetsk et Luhansk / 22 février 2022 / Source / Service audiovisuel du Kremlin, Moscou.

 

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