Allemagne: après Merkel, une révolution de velours?

Scholz comme Laschet sont plus proches des thèses française que Merkel ne l’a jamais été: qu’il s’agisse des liens avec les Etats-Unis, de la crise de l’Otan, de la défense, du futur de l’UE, voire des déficits budgétaires.

L’Allemagne se dirige-t-elle vers un retour au pouvoir du SPD après 16 années de gestion CDU? Déjà appelé «Vati» par une partie de l’opinion publique en référence à Angela Merkel, le vice-Chancelier Olaf Scholz semblerait à cette heure promis à gouverner la première puissance économique européenne. Mais la constitution d’une coalition élargie pourrait lui être nécessaire s’il venait, dimanche, à sortir vainqueur des urnes.

Les inondations, décidément, semblent ne pas devoir réussir aux candidats chrétiens-démocrates briguant le poste de chancelier! En septembre 2002, Gerhard Schroeder, chancelier SPD, candidat social-démocrate, gagnait de justesse les élections législatives et battait son challenger CDU/CSU, le Bavarois Edmund Stoiber et reconduisait la coalition SPD/Verts. Tous les observateurs étaient d’accord pour considérer que le sortant – désormais appelé… «Krisenmanager» – l’avait emporté grâce à la manière, bottes aux pieds et imperméable sur le dos, dont il avait fait face aux inondations (déjà !) meurtrières qui avaient frappé, en août 2002, l’Europe centrale et tout particulièrement l’Allemagne.

Les inondations du week-end du 14 juillet dernier risquent d’avoir les mêmes effets dopants sur la candidature d’Olaf Scholz, vice-Chancelier et Ministre des Finances SPD, tête de liste du SPD face à Armin Laschet, Ministre-Président du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie (NRW), où la seule vallée de l’Ahr, perle du vignoble allemand, sise entre Bonn et Cologne, a décompté 141 morts, victimes des inondations! Favori des sondages au début de l’été, metteur en scène incontournable de la coalition qui aurait dû succéder, après les élections du 26 septembre prochain, à la «Grande Coalition – SPD/CDU» conduite par Angela Merkel, Armin Laschet pourrait être, à son tour, victime de la manière dont son approche des inondations a été perçue par les électeurs.

Inondations: en chaussures de ville et complet-veston!

Qu’il ait été vu sur les décombres en chaussures de ville et complet-veston aurait peut-être pu passer si, en plus, il n’avait été filmé, hilare, pendant que, venu sur place, le Président de la République Frank-Walter Steinmeier rendait publiquement hommage aux victimes de l’Ahr! Les réseaux sociaux ont évidemment largement diffusé les images de l’hilarité du candidat de la CDU que, du reste, il préside depuis janvier de cette année! Nul ne sera surpris du fait que cette diffusion a été particulièrement ravageuse pour celui qui brigue la succession d’Angela Merkel à la chancellerie. A voir les sondages, les dégâts ont touché aussi bien le candidat que son parti. Il est vrai que son image n’était déjà pas très positive après un certain nombre de déclarations et une campagne électorale plus que poussive. Au point qu’Angela Merkel, qui ne voulait pas intervenir dans l’élection, a du improviser, à Berlin, un meeting de soutien et a du retourner, une fois encore, dans la vallée de l’Ahr pour rencontrer et soutenir les sinistrés.

Un soutien qu’Olaf Scholz, depuis des mois deuxième personnalité la plus appréciée des Allemands (juste derrière… Angela Merkel), a su habilement utiliser en tant que Ministre des Finances: n’a-t-il pas débloqué immédiatement 200 millions d’euros comme aide aux victimes des inondations? Il a tenu à préciser que c’est un premier geste et que… quoi qu’il en coûte (!), il y en aura d’autres que les habituelles tracasseries administratives ne pourront pas perturber!

Le SPD en tête pour la première fois en… 19 ans!

Du coup, pour la première fois en 19 ans, les sondages ont placé le SPD en tête des intentions de vote à 25% voire 26%, alors que la CDU se situe entre 19 et 22%. Aux élections législatives de 2017, la CDU avait obtenu 32,9% des suffrages! Et dire qu’en 2019, aux élections pour la désignation de la présidence du SPD, les militants avaient écarté la candidature de… Olaf Scholz! Une belle revanche pourrait bien se dessiner avec l’élection du 26 septembre pour celui qui n’hésite pas à évoquer sa présence au gouvernement d’Angela Merkel qu’il apprécie, même s’il a eu l’occasion de préciser que «jamais au grand jamais, il ne renouvellerait l’expérience d’une coalition avec la CDU/CSU». Mais chacun sait qu’en politique «jamais» ne veut jamais dire jamais !

Alors, Olaf Scholz futur chancelier succédant à Angela Merkel? Une hypothèse crédible depuis que les rêves des «Verts» de prendre d’assaut la chancellerie semblent, eux aussi, s’être envolés! Alors que pendant longtemps, le parti des Verts faisait jeu égal avec la CDU, qui affichait des scores élevés, et avaient même réussi, au vu des sondages, à être le premier parti en Allemagne, les derniers sondages sur les intentions de vote créditaient Annalena Baerbock, la candidate écologiste, en nouvel léger repli, de 15 à 17% selon les instituts. Un début de campagne marqué par une dose d’amateurisme, des déclarations imprudentes et une obscure accusation de plagiat à propos de passages de son livre-programme «Jetzt, wie wir unser Land erneuern» ont pesé sur son image et celle du parti des Verts.

Il est vrai aussi que les Verts, en choisissant Baerbock plutôt que leur co-président Robert Habeck, plus connu, ont commis la même erreur que la CDU qui a préféré choisir Laschet comme tête de liste plutôt que Markus Söder, le Ministre-Président (il est vrai CSU!) de Bavière, l’un des préférés des sondages!

Quand l’Allemagne risque de glisser à gauche!

La voie semble s’ouvrir à une coalition «SPD / Verts / Parti libéral FDP» ou même (horreur absolue pour la CDU !) «SPD / VERTS / Die LINKE» (l’extrême-gauche). Mais compte tenu de l’hostilité Verts / FDP et des réserves de l’ensemble des partis à l’égard de «Die Linke», quelles chances auraient ces formules? L’Allemagne mettra-t-elle un terme à une longue hégémonie chrétienne-démocrate, après 16 années de pouvoir d’Angela Merkel? Glissera-t-elle à gauche, vivant, en quelque sorte, une «révolution de velours», comme on disait à Prague en 1989?

A moins que la CDU/CSU n’arrive à dépasser les réticences de l’éventuel partenaire social-démocrate ou qu’elle ne se reprenne, ce qui – à 19%, voire 22% d’intentions de vote – est très loin d’être certain. Notamment après les déclarations d’Annegret Kramp-Karrenbauer, la Ministre de la Défense, qui, malgré la manière dont l’Allemagne a géré la débâcle de l’évacuation de Kaboul, s’est déclarée prête à redevenir Ministre de la Défense dans le gouvernement qui sera issu des élections: elle sera diversement appréciée, comme la manière dont elle, la civile, ancienne Ministre-Présidente du Land de Sarre, donnera une insolite accolade publique au général (sarrois!) Jens Arlt qui venait d’atterrir, de retour d’Afghanistan!

Le «franco-allemand» relancé?

Mais on ne le répètera jamais assez: les sondages ne sont pas l’élection et jusqu’au dernier moment, l’électeur reste propriétaire de son bulletin de vote! Aux dernières élections législatives (en 2017), les partis ont mis près de six mois pour conclure un programme de gouvernement et jeter les bases d’une coalition. Rien ne dit qu’il en ira différemment après le 26 septembre, tant les résultats risquent d’être à ce point proches que les jeux restent ouverts!

Pour Emmanuel Macron, qui a reçu à l’Elysée Olaf Scholz comme Armin Laschet, ces élections peuvent relancer une coopération franco-allemande, ce qui l’aiderait à réussir dès le début (au 1er janvier), la présidence française de l’Union Européenne. Scholz comme Laschet sont plus proches des thèses française que Merkel ne l’a jamais été: qu’il s’agisse des liens avec les Etats-Unis, de la crise de l’Otan, de la défense, du futur de l’Union européenne, voire des déficits budgétaires.

Alain Howiller est chroniqueur pour Eurojournalist.eu, ancien rédacteur en chef des Dernières nouvelles d’Alsace / Photo: Olaf Scholz / German presidency of the Council of the EU 2020 sous licence creative commons

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