Quand l’Europe cessera-t-elle d’être oubliée des télés et radios?

Si l’on retire ARTE de la liste, on constate que les autres chaînes ont consacré, entre 2016 et 2020, 2,9% de leurs sujets à l’UE et aux thèmes qui y sont liés. Les télévisions dites «d’information continue» (BFM, CNews, LCI) ont, elles, consacré 2,5% de leurs sujets aux questions européennes! 

On aurait pu croire que la «Journée de l’Europe 2021», le 9 mai dernier, marquée par l’ouverture, à Strasbourg, de la «Conférence sur l’avenir de l’Europe», consultation inédite des citoyens européens sur ce qu’ils attendent de l’Europe et sur ce qu’ils veulent faire de l’Union Européenne, figurerait en bonne place sur les chaînes de télévision. On pouvait espérer une implication des animateurs du petit écran dans la valorisation de Strasbourg, seule ville de l’hexagone à être, avec Luxembourg (pouvoir judiciaire), Bruxelles (siège de l’exécutif) et Francfort (siège du «pouvoir» monétaire et financier), une capitale européenne, siège de plusieurs institutions symboliques de la marche des européens vers leur unité.

On aurait souhaité que les piliers de l’audiovisuel saluent la présence, sur les bords du Rhin, du Président de la République, du Premier Ministre portugais en sa qualité de Président de l’Union Européenne, de la Présidente de la Commission Européenne, du Président du Parlement Européen, de plusieurs Ministres et de responsables des collectivités alsaciennes. Des attentes, des espoirs nourris par ces sondages qui soulignaient que 55% des Français s’estimaient mal informés sur les questions européennes et que 72% des sondés souhaitaient être mieux informés: des sondages que –pourrait-on penser !- ces spécialistes en marketing que les responsables des chaînes se targuent d’être, ne pouvaient pas ne pas prendre en considération!

Les espoirs déçus du 9 mai strasbourgeois

Espoirs déçus: pas d’envoyé spécial ni d’émission particulière pour «couvrir» ce «9 Mai strasbourgeois»: de rapides évocations, une couverture – affligeante et écourtée- de France3 et une sorte de coup de pied de l’âne sur France 2, la chaîne du service public, qui, avant de traiter le sujet rapidement en fin du JT du soir, avait repris dans la…. rubrique «Covid-19» les propos d’Emmanuel Macron sur les vaccinations et l’abandon de l’AstraZeneca! Pour Virginie Malingre, la correspondante du «Monde» dans la capitale belge: «La télé française se sent peu concernée par ce qui se passe à Bruxelles». Cité par le magazine Marianne, Strasbourg ne semble pas davantage échapper à cette approche! Ainsi se confirment les analyses que vient de publier la «Fondation Jean Jaurès». Cette dernière a, une nouvelle fois, décryptée – avec l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) – la manière dont radios et télés abordent, pour citer Théo Verdier, co-auteur de l’étude, «les difficultés des médias audio-visuels pour accorder aux questions européennes une juste place dans leurs programmes.»

A la veille de la «journée de l’Europe», la Fondation Jean-Jaurès avec l’INA ont dressé ce constat: entre 2016 et 2020, dans leurs journaux télévisés (JT), TF1, France 2, France 3 et ARTE ont consacré… 3,6% de leurs sujets à l’Union Européenne (UE)! Si on retire ARTE de la liste, dont finalement l’Europe devrait être un objectif prioritaire, on constate que les autres chaînes ont consacré, dans la même période, 2,9% de leurs sujets à l’UE et aux thèmes qui y sont liés. Les télévisions dites «d’information continue» (BFM, CNews, LCI) ont, elles, consacré 2,5% de leurs sujets aux questions européennes! Celles-ci ont connu un «pic» de 4,8% sur les chaînes en 2019, année des élections européennes.

Quand l’info «booste» la participation électorale

Cet effort relatif n’est sans doute pas étranger au fait que le taux de participation à ces élections a atteint légèrement plus de 50%, contre 42,4% lors de la consultation précédente (2014). Mais force est de constater que si, en 2020, les JT ont consacré 2,3% de leur temps à des sujets européens, le traitement vaccinal du virus de la Covid-19 et les polémiques nées autour de la politique d’achat des vaccins par l’UE, n’y sont pas étrangères! En 2017, déjà, la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, largement axée sur des thèmes européens, avait, elle aussi, boostée à 3,7% le nombre de sujets consacrés à l’Europe par les radios et les télévisions.

Dernier avatar significatif, d’une certaine façon et toutes proportions gardées, du «désamour télévisuel», les auteurs de l’étude font remarquer que sur la liste des personnalités citées en 2020 dans les bulletins d’information, Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission Européenne, s’est retrouvée en 22ème position et si 48 sujets la mentionnent, Donald Trump a bénéficié de 392 citations!

Et pourtant: C’est grâce à l’Europe

Strasbourg, la reconnaissance aussi bien par le Président de la République, la Présidente de la Commission et le… Président du Parlement Européen, du rôle (à concrétiser dans la réalité concrète du terreau politique!) de Strasbourg, ont été victimes du «trou noir» qui perce les étoiles de l’Europe de l’audiovisuel français! Le «Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA)» a réuni récemment les opérateurs – publics et privés – du secteur pour étudier avec eux, les moyens de mieux mettre au service du public les informations consacrées à l’Europe et à ses institutions. Roselyne Bachelot, la Ministre de la Culture, a fait figurer le développement de l’information sur l’Europe et ses institutions dans les contrats d’objectifs et de moyens de l’audiovisuel public (France Télévision et Radio-France). «Le Monde» a même pu souligner que la prise en compte du développement des sujets concernant notamment l’Europe (mais aussi… l’Outre-Mer) aurait une incidence sur la part variable de la rémunération des rédacteurs en chef de France-Télévision!

L’Europe sera-t-elle pour autant moins oubliée par les moyens audiovisuels français? On peut l’espérer, tout en constatant que l’objectif tarde à se concrétiser. Il est vrai aussi qu’en matière de communication, la Commission Européenne, présidée alors par le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, avait essayé de mettre en place un plan de développement de l’information sur tout ce que les institutions européennes font pour le citoyen. Cela aurait enfin contribué à remplacer le trop fameux – et trop souvent mensonger – «C’est la faute à l’Europe» par un «C’est grâce à l’Europe!»

Alain Howiller est chroniqueur pour Eurojournalist.eu, ancien rédacteur en chef des Dernières nouvelles d’Alsace / Photo: Lolli Faustine Doll *-* sous licence creative commons

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