Nouveau départ pour le secteur du transport routier européen: la fin des oppositions?

A l’Ouest, cette réforme indispensable qui vient en secours à un secteur qui en a réellement besoin, est accueillie bien différemment à l’Est.

Trois ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour que le Paquet mobilité soit finalement adopté. L’initiative lancée par la Commission a été le reflet des difficultés à construire une Europe sociale. A l’Est, durcir la règlementation du détachement revient à entraver leur compétitivité, le poids économique du secteur du transport routier est trop important. Pour l’Europe de l’Ouest en revanche, le dossier du détachement est un moyen de protéger les marchés nationaux, tout en apportant une protection sociale accrue aux conducteurs européens. Qu’en est-il de l’accord trouvé dans la nuit du 8 au 9 juillet 2020?

Début juillet 2020, l’assemblée plénière du Parlement a approuvé sans modification le Paquet mobilité, paquet qui recouvre trois textes législatifs sur le transport routier (temps de conduite et de repos, détachement des conducteurs, accès au marché et cabotage). Ces trois dossiers ayant déjà été approuvés par le Conseil des ministres en avril de la même année, la plénière constitue l’ultime étape avant l’entrée en vigueur des textes.

Des doutes planaient quant à la position des Verts sur ce vote, mais aussi de tous les membres de la commission de l’Emploi et des Affaires sociales. Ces derniers trouvaient la révision peu satisfaisante, insuffisamment protectrice des droits sociaux des conducteurs. Mais les difficultés et le blocage potentiellement insurmontable que laissait pressentir l’adoption d’amendements – cela aurait ouvert une nouvelle procédure, risquant d’enterrer le texte – a, semble-t-il, permis d’unifier les forces des pays d’Europe de l’Ouest afin de faire passer le texte sans aucune modification. En effet, toutes les séries d’amendements ont été rejetées à une grande majorité. Le texte sur le détachement est passé à 469 votes contre 218, temps de conduite et de repos 524 contre 162 et cabotage 513 contre 174.

Avancées sociales en matière de transport routier malgré certaines concessions

Les dispositions finales visent à améliorer les conditions de travail des conducteurs, tout en mettant fin aux distorsions de concurrence. Concernant le temps de repos et de conduite, l’obligation pour les conducteurs de rentrer chez eux – c’est-à-dire dans l’État d’établissement de leur employeur ou leur domicile – toutes les trois à quatre semaines est une mesure phare. A cela s’ajoute l’interdiction d’un repos hebdomadaire en cabine, obligeant ainsi l’employeur a payer des frais d’hébergement pour les conducteurs. Pour que cela puisse se mettre en place, la Commission européenne devra élaborer des normes pour les aires de stationnement PL plus sécurisées. Enfin, le tachygraphe intelligent vient remplacer le tachygraphe numérique afin d’enregistrer les passages aux frontières.

En ce qui concerne le détachement des conducteurs, ces derniers sont considérés comme détachés – et donc se voient appliquer le principe «à travail égal, salaire égal» – lors d’opérations de cabotage et de transport international. Ainsi, seul le transit et les opérations bilatérales (avec 2 chargements ou déchargements autorisés) sont exclus de l’application des règles de détachement.

Pour le dernier volet de ce Paquet mobilité (cabotage et accès au marché), il s’agit de renforcer la règlementation encadrant le cabotage, ainsi que de mettre un terme au problème posé par les sociétés «boîtes aux lettres». Une mesure qui aujourd’hui encore fait l’objet d’une étude d’impact par la Commission: l’obligation pour les véhicules de retourner dans l’État membre d’origine de l’entreprise toutes les 8 semaines. L’objet de ce retour est d’éviter qu’un conducteur étranger ne fasse des opérations d’un pays à un autre, tout en sortant ainsi de la notion de détachement. L’objectif est d’imposer à la fois le retour du camion et du conducteur, «parce que, relève Pascal Vandalle, directeur délégué au pôle terrestre chez TLF, si vous imposez ça que pour le conducteur, ils sont très bien organisés dans certains États membres, ils vont utiliser des bus et ils vont faire rapatrier les conducteurs et puis en ramener d’autres, et puis le camion va continuer son activité. Et si vous mettez que le camion, le camion va repartir, le conducteur va rester sur place et va attendre qu’un camion suivant arrive, ou que le camion revienne pour pouvoir repartir en activité». Également, une période de carence de quatre jours est introduite avant que d’autres opérations de cabotage puissent être effectuées dans un même pays avec un même véhicule, cela afin de prévenir le cabotage systématique. Les véhicules utilitaires légers de plus de 2,5 tonnes sont dorénavant soumis à bon nombre de règles, notamment le tachygraphe.

En ce qui concerne les sociétés boîtes aux lettres, les entreprises sont maintenant dans l’obligation de démontrer une activité importante dans l’État dans lequel elles sont enregistrées.

Un clivage Est / Ouest qui ne disparait pas pour autant

A l’Ouest, cette réforme est indispensable, et vient en secours à un secteur qui en a réellement besoin. La députée européenne chargée du dossier temps de repos et de conduite, Henna Virkkunen (PPE) a déclaré que «le paquet mobilité favorise une concurrence loyale entre les opérateurs et améliore la sécurité routière ainsi que les conditions de travail des conducteurs. Le Marché unique européen ne peut pas fonctionner correctement sans des règles communes équitable».

Ces mesures, si acclamées par les pays d’Europe de l’Ouest et les pays scandinaves, sont accueillies bien différemment à l’Est. Dès janvier 2020, le jour où la commission des transports et du tourisme du Parlement européen approuve le Paquet mobilité, les conducteurs routiers bulgares (ainsi que d’autres pays de l’Est) manifestent à Bruxelles contre ces textes qui nuiront à leur industrie. Ce positionnement est partagé par le gouvernement bulgare. Ce dernier a d’ailleurs annoncé, suite au vote du Paquet début juillet, attaquer cette décision devant la justice européenne. Les Bulgares ne sont pas les seuls à être vent debout contre cette législation. Les conducteurs polonais eux aussi s’opposent à ce vote qui célèbre une victoire du lobbying de l’Ouest. Les Roumains ne manquent pas de se manifester également. Selon eux, ce vote signe la fin de leur industrie du transport routier qui entrainerait la disparition d’un tiers de leurs opérateurs.

Si ce sentiment a été présent tout au long de la procédure, il a été exacerbé du fait de la récente crise du Covid-19. En effet, cette dernière devient un argument pour les opposants au texte. Trois années durant, le texte a été dénoncé comme protectionniste. En plus de cela, il est aujourd’hui accusé de ne pas être en phase avec la réalité économique du secteur du fait de la crise sanitaire. Par exemple, l’interdiction de repos en cabine est rendue plus difficile du fait des consignes sanitaires et de la distanciation sociale.

L’enjeu climatique rentre également en ligne de compte. C’est un point qui a été appuyé par le ministre polonais des Infrastructures Andrzej Adamczyk, mais aussi la majorité des eurodéputés de l’Est. Selon ces derniers, la disposition sur le retour des camions (sus-mentionné) va mener à une augmentation de la pollution, et le coût environnemental de cette mesure va à l’encontre du Pacte Vert pour l’Europe annoncé. C’est ce que regrette également la commissaire aux transport roumaine Adina-Ioana Vālean qui, dès le départ, s’était opposée à cette mesure. C’est pour cela, relève Aude Labaste qu’en fin de trilogue, la commissaire mentionna qu’une étude d’impact sur le retour des camions – qui n’était pas dans la proposition initiale de la Commission – ainsi que sur l’inclusion de la partie routière du transport combiné dans le cabotage serait demandée. En effet, à la suite de l’accord en trilogue, le 17 décembre, la Commission européenne critiqua dans une déclaration officielle ces deux mentions qui se trouvent désormais dans l’accord. Même si cela apparait peu probable, l’étude d’impact pourrait avoir pour conséquence d’empêcher la mise en application de ces mesures.

La publication des textes au journal officiel de l’Union européenne ayant eu lieu le 31 juillet 2020, reste à attendre la mise en application des règles. Les exigences en matière de temps de repos et de conduite seront en place 20 jours après cette publication, donc à partir du 20 août. Les dispositions d’accès au marché entreront en vigueur à la fin de l’année 2021, tandis que les règles en matière de détachement entreront en vigueur 18 mois après la publication des textes au journal officiel de l’UE. Ces règles permettront-elle une réelle amélioration des conditions de travail des conducteurs routiers, mais aussi du secteur dans sa globalité? Cela reste à voir.

Juliette Rolin est étudiante à Sciences Po Strasbourg, stagiaire au Laboratoire SAGE du CNRS

Photo : Ring de Sofia / Photographe: Nikolay Doychinov / Union européenne, 2015 / Source: EC – Service audiovisuel

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