La fermeture des frontières modifie-t-elle l’itinéraire des réfugiés vers l’Europe ?

L’Europe n’est plus attractive pour les réfugiés ou migrants, du fait de la fermeture des frontières et des risques sanitaires puisque le continent est particulièrement touché par la pandémie.

Loin des prédictions de plusieurs médias estimant la crise du COVID-19 allait conduire à la mise en place de nouveaux itinéraires pour les réfugiés, la réalité du terrain semble tout autre. Navires humanitaires à l’arrêt, revirement de la politique migratoire turque, baisse d’attractivité de l’Europe en raison de la pandémie, en seraient quelques explications…

La fermeture des frontières a été l’une des premières mesures adoptées par de nombreux pays européens pour limiter la propagation du nouveau coronavirus. Le 17 mars 2020, l’Union européenne (UE) a d’abord annoncé une fermeture des frontières extérieures pour une durée de 30 jours, avant de prolonger jusqu’au 15 mai. Plusieurs États européens avaient déjà commencé à fermer leurs frontières avec leurs pays voisins. De même pour les pays situés de l’autre côté de la Méditerranée (Maroc, Algérie, Tunisie).

Soulignant ce phénomène, plusieurs médias ont estimé que la crise allait de facto conduire à la mise en place de nouveaux itinéraires pour les réfugiés, évoquant une «deuxième vague migratoire» et un déferlement à venir. Pour l’instant toutefois, la réalité sur le terrain et les chiffres à disposition montrent que les processus de migrations sont bien interrompus du fait de la pandémie, sans toutefois laisser entrevoir d’évolutions majeures.

Une Europe moins attractive

Tout est suspendu mais, pour l’instant, la dimension structurelle des migrations n’en est pas modifiée pour autant. L’Organisation mondiale des migrations (OIM) observe actuellement une baisse importante du trafic en Méditerranée centrale, de la Libye à l’Italie ou vers la Grèce. L’Europe n’est plus attractive pour les réfugiés ou migrants, du fait de la fermeture des frontières et des risques sanitaires puisque le continent est particulièrement touché par la pandémie. Deux des principaux foyers épidémiques européens, l’Espagne et l’Italie, font ainsi partie des trois pays où arrivent habituellement le plus de migrants.

Si l’on s’en tient aux contrôles, l’Agence européenne aux frontières, Frontex, a arrêté 4.650 personnes au mois de mars, soit moitié moins que le mois précédent. En mer Méditerranée, il est également plus facile de contrôler les embarcations, car il y a moins de passages, mais aussi moins de candidats auprès des passeurs. Face à la fermeture des ports et la possibilité de rester bloquer durablement en mer, des navires humanitaires sont aussi à l’arrêt. C’est le cas de l’Ocean Viking, affrété par l’ONG SOS Méditerranée, qui est immobilisé à Marseille depuis la mi-avril.

Mais en réalité, ces données sont à analyser avec précaution et il est préférable de regarder les chiffres annuels, car ils sont plus signifiants. Un récent rapport de l’OIM indique une hausse de 20% des arrivées en Europe par la Méditerranée pour ce début d’année 2020, comparée à l’année précédente. Généralement c’est en été qu’il y a le plus de passages, car l’eau est moins froide et la mer moins agitée. Les navires de commerce et les bateaux touristiques sont plus nombreux et augmentent la probabilité d’un sauvetage en mer.

Un itinéraire semblable mais des obstacles supplémentaires

En fait, certains sujets qui étaient d’une très grande actualité il y a quelques semaines ne le sont plus aujourd’hui. Fin février par exemple, dans un contexte diplomatique tendu, la Turquie a annoncé qu’elle n’empêcherait plus les migrants de se rendre en Europe, ce qui avait conduit plusieurs milliers de candidats à l’asile à se déplacer vers la frontière grecque. Certains y sont toujours mais les autorités turques ont démantelé un camp de fortune le 26 mars. Environ 4.000 personnes ont été transférées à l’intérieur des terres turques pour qu’elles restent en quarantaine, temporairement, le temps de l’épidémie.

Ailleurs comme en Libye, des migrants restent «confinés» dans les centres de rétention en attendant d’être reconduits dans leur pays d’origine. D’autres demeurent dans des centres d’accueil de demandeurs d’asile. Malheureusement, il y a dans ces lieux une forte densité de personnes et un risque fort de crise épidémiologique et psychologique. Beaucoup sont dans l’impossibilité de faire une demande d’asile.

Des flux régionaux plus importants

D’un point de vue international, les flux migratoires les plus importants concernant les réfugiés ne sont pas ceux que l’on peut observer d’un continent à un autre: les déplacements régionaux sont majoritaires. La tendance migratoire en ce moment concerne ainsi les déplacements internes ou dans les pays voisins.

Par ailleurs, les crises politiques continuent un peu partout dans le monde (en Syrie, en Somalie, au Soudan du Sud) et limitent aussi les déplacements. De surcroît, l’impact du coronavirus sur les pays européens risque d’entraîner une chute des transferts de fonds des migrants travaillant sur le continent vers leur pays d’origine.

En fait, depuis 2015 et le pic d’arrivées des migrants et réfugiés en Europe (environ 1 million de personnes), ils sont de moins en moins nombreux chaque année à entamer ce périple. En 2019, autour de 120.000 personnes ont été enregistrées par le UNHCR.

Catherine Wihtol de Wenden est Directrice de recherches sur les migrations internationales, Sciences Po – USPC. Article initialement publié sur The Conversation sous licence creative commons et co-écrit avec les étudiants de l’École de Journalisme et de Communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

Photo : Photo: Julian Buijzen sous licence creative commons

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