Le budget de l’Union européenne à l’épreuve du Covid-19

Ursula von der Leyen entend faire du budget de l’UE «le vaisseau-mère du redressement de l’Europe» d’un «plan Marshall» capable de mobiliser «des milliers de milliards». La Commission devrait donc réviser la proposition de cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 qu’elle avait soumise en mai 2018.

Alors que se réunit demain 23 avril un Conseil européen dédié au suivi de la riposte de l’UE face à l’épidémie de #COVID-19, jamais crise n’avait à ce point démontré l’importance de réponses communes. Les débats sur le fonds de relance, comme sur l’avenir des politiques communes vont, une fois encore, et en dépit des nombreuses mesures économiques déjà prises, être le révélateur de visions différentes de l’intégration européenne, d’attitudes diverses à l’égard des finances publiques et plus prosaïquement, d’intérêts divergents entre les États membres.

La pandémie de coronavirus est un révélateur de la fragilité de nos sociétés et de nos modes de vie, éprouvant dramatiquement de trop nombreuses familles. Elle est aussi un révélateur des trésors de solidarité, de créativité, d’énergie, d’engagement, de détermination que recèlent nos sociétés pour surmonter ensemble cette épreuve.

Cette crise d’une nature et d’une ampleur sans précédent met en lumière, une fois encore, le haut degré d’interdépendance des pays de l’Union européenne et montre la pertinence d’une action publique coordonnée ou, dans certains cas, conduite à l’échelle européenne. Les tâtonnements de l’Union européenne souvent, ses divisions parfois, et jusqu’à ses renoncements même, ne doivent pas occulter sa capacité à concevoir, décider et agir, ainsi qu’à adapter ses modalités de travail et de prise de décision pour ce faire. Régulièrement attaquées pour n’avoir fait que trop peu et trop tard, les institutions européennes n’en ont pas moins agi, de concert avec les États membres, que ce soit en matière de santé publique, de voyages et de transport, de recherche et d’innovation, d’économie, de gestion de crise et de solidarité.

Dans la sphère économique, face à un choc qui touche, certes à des degrés variables, tous les États de l’Union européenne, des mesures qui, il y a peu encore, auraient été inconcevables ont été prises, en particulier l’activation de la clause générale dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance ou l’assouplissement des règles en matière d’aides d’État.

Dans le contexte de la gestion de la crise, le budget de l’Union européenne n’est qu’un élément très modeste d’une réponse économique globale dessinée et mise en œuvre par les États membres et l’Union européenne. La faiblesse de son volume (1 % du revenu national brut (RNB) de l’Union européenne) et les rigidités inhérentes à sa mise en œuvre ne lui permettent pas de jouer un rôle plus significatif. Pour autant, la Commission européenne, avec beaucoup d’agilité et de créativité, a veillé à ce que chaque euro disponible puisse être mobilisé.

Plus intéressante encore est la volonté affirmée de la Commission européenne de faire du budget européen un élément central du redressement économique, option rendue possible par les négociations en cours du cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2021-2027. Une telle ambition est en rupture avec l’approche qui avait prévalu après la crise financière de 2008, les États membres ayant alors préféré créer des mécanismes de gestion de crise hors budget de l’Union européenne, avec en point d’orgue l’établissement du mécanisme européen de stabilité (MES) en 2012. Néanmoins, la soutenabilité juridique et la négociabilité de cette stratégie soulèvent des interrogations.

Céder à la tentation de la feuille blanche, déplacer les curseurs de la négociation, desserrer l’étau de la contrainte : plusieurs options sont aujourd’hui envisageables pour relancer la négociation sur le cadre financier de l’Union européenne pour la période 2021-2027.

Une réponse économique mobilisant tous les acteurs européens

La crise du coronavirus est d’abord une crise sanitaire avec un coût humain considérable mais ses conséquences économiques et sociales sont également brutales. D’après le Fonds monétaire international (FMI)1, l’économie mondiale devrait connaître une contraction de 3 % en 2020, soit un recul bien plus marqué que lors de la crise financière de 2008. Selon un scénario de référence fondé sur l’hypothèse d’une atténuation de la pandémie au cours du second semestre de 2020 et d’un relâchement progressif des efforts d’endiguement, le FMI estime que l’économie devrait croître de 5,8 % en 2021, à mesure que l’activité économique se normalisera, grâce au soutien des pouvoirs publics. Les perspectives pour l’Union européenne sont plus sombres, son produit intérieur brut (PIB) risquant, d’après le FMI, de subir une réduction de 7,1 % en 2020. Certains économistes sont plus pessimistes encore et envisagent une saignée de l’économie européenne pouvant atteindre 15 %.

Cette crise appelle des mesures d’envergure sur les plans budgétaire, monétaire et financier pour venir en aide aux ménages et aux entreprises les plus touchés. Lors de la réunion de l’Eurogroupe en format inclusif du 9 avril 20202, les ministres des finances des 27 ont estimé que le montant total des mesures budgétaires discrétionnaires déjà prises par les États membres s’élevait à 3 % du PIB de l’Union européenne. En outre, les États se sont engagés à fournir un soutien en matière de liquidités aux secteurs et entreprises en difficultés à hauteur de 16 % du PIB de l’Union européenne, sous la forme de régimes publics de garanties et de paiements d’impôts différés.

La Banque centrale européenne (BCE) a pris une série de mesures garantissant la stabilité financière en maintenant un fonctionnement fluide des marchés de titres et du refinancement bancaire, nécessaire au financement des États et des entreprises. Ce faisant, elle permet aux États de financer les mesures d’urgence nécessaires, de faciliter l’accès au crédit notamment pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), ainsi que d’assurer des conditions de financement favorables aux ménages. Le 18 mars 2020, le Conseil des gouverneurs de la BCE a annoncé un nouveau programme d’achats d’urgence face à la pandémie, doté d’une enveloppe de 750 milliards d’euros jusqu’à la fin de l’année, en plus des 120 milliards d’euros décidés le 12 mars. Ensemble, cela représente 7,3 % du PIB de la zone euro. La BCE a aussi décidé d’un assouplissement du refinancement à long terme des établissements bancaires et élargi le spectre des titres qu’elle accepte de prendre en contrepartie du refinancement bancaire. Ces mesures sont de nature à soutenir la confiance, à atténuer l’amplification du choc et à créer de meilleures conditions pour une reprise de l’économie.

La Commission européenne a également actionné tous les leviers dont elle dispose, y compris en faisant pièce à certains tabous. Pour la première fois, elle a proposé d’activer la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance. La possibilité ainsi donnée aux États de dévier par rapport aux cibles budgétaires fixées par le Conseil est un assouplissement considérable du cadre budgétaire européen qui leur fournit la flexibilité nécessaire au soutien de leurs systèmes de santé et, plus généralement, de leur économie. Parallèlement, elle a assoupli les règles en matière d’aides d’État, en adoptant un cadre temporaire, dérogatoire aux règles habituelles, permettant aux États membres d’apporter un soutien direct plus important aux entreprises et aux PME directement touchées qui, sans aide, risqueraient de fermer. Les équipes de la Commission sont mobilisées pour approuver, au moyen de procédures d’urgence, ces dispositifs, et ce, sept jours sur sept. Des règles spécifiques ont également été prévues pour permettre aux États membres d’accélérer la recherche, l’expérimentation et la fabrication de produits utiles pour combattre le coronavirus.

Le Groupe Banque européenne d’investissement (BEI), composé de la BEI et du Fonds européen d’investissement (FEI), a pour sa part mis en place des mesures d’urgence permettant de mobiliser jusqu’à 40 milliards d’euros, sous forme notamment de crédits-relais et de mesures destinées à atténuer les contraintes de liquidité et de fonds de roulement pour les PME et les ETI. Ces mesures sont mises en œuvre par le biais d’intermédiaires financiers et en partenariat avec les banques nationales de promotion. Dans un deuxième temps, faisant suite à la recommandation de l’Eurogroupe, le conseil d’administration de la BEI a décidé, dès le 16 avril 2020, la création d’un fonds, garanti par les États membres à hauteur de 25 milliards d’euros, dont l’objectif est de renforcer son soutien aux PME, ETI et entreprises en fournissant, grâce à un effet de levier élevé, jusqu’à 200 milliards d’euros à l’économie européenne. Les instruments financiers déployés dans ce cadre cibleront en particulier les besoins en liquidité et en investissement des PME. La BEI contribue ainsi à gommer les disparités entre États membres en partageant des ressources, mutualisant les risques, abaissant le coût global et égalisant les conditions de financement des entreprises dans l’Union européenne.

Enfin, le Mécanisme européen de stabilité et l’instrument de soutien à la balance des paiements seront mobilisés respectivement pour les pays de la zone euro et pour ceux qui n’ont pas encore adopté la monnaie unique. Le MES pourra fournir à chaque État un prêt de l’ordre de 2 % de son PIB, soit une enveloppe de 240 milliards d’euros pour toute la zone euro qui permettra de financer les coûts directs et indirects liés aux soins de santé, à la guérison et à la prévention face à la crise du coronavirus. L’instrument de soutien à la balance des paiements permettra à la Commission européenne d’emprunter sur les marchés de manière à pouvoir prêter aux États concernés dans des conditions favorables.

Face à la crise, mobiliser chaque euro disponible du budget européen

Le budget de l’Union européenne a également été mobilisé dans le contexte de la réponse à la crise du coronavirus. Plusieurs voies ont été empruntées pour ce faire :

L’optimisation des moyens disponibles au titre de la politique de cohésion dans le cadre d’une initiative d’investissement en réaction au coronavirus, dotée de 37 milliards d’euros. En pratique, le règlement applicable à la politique de cohésion a été modifié pour permettre à la Commission européenne de renoncer cette année à l’obligation qui lui incombe de demander aux États le remboursement des préfinancements non utilisés au titre des Fonds structurels et d’investissement. La différence entre les paiements certifiés au titre des projets mis en œuvre dans les territoires en 2019 et la somme des préfinancements et paiements intermédiaires versés par la Commission au cours de cet exercice aurait dû conduire les États à lui rembourser une enveloppe de près de 8 milliards d’euros au premier semestre 2020. En libérant les États de cette contrainte, ce sont 8 milliards d’euros de liquidités qui sont réinjectés dans le système et peuvent ainsi servir de contrepartie à une enveloppe de cofinancements européens de l’ordre de 29 milliards d’euros afin de mettre en œuvre des projets destinés aux systèmes de soins et de santé, aux PME, aux marchés du travail et à d’autres secteurs vulnérables de l’économie. À titre d’illustration, la levée de l’obligation de remboursement à la Commission européenne représente des enveloppes de 1,1 milliard d’euros pour l’Espagne, 853 millions d’euros pour l’Italie ou 312 millions d’euros pour la France permettant, avec le cofinancement européen, de financer des projets à hauteur respectivement de 4,1 milliards d’euros, 2,3 milliards d’euros et 650 millions d’euros. Par ailleurs, les modalités de mise en œuvre des Fonds structurels et d’investissement ont été considérablement assouplies de manière à permettre aux autorités de gestion d’en faire le meilleur usage.

La saturation des possibilités offertes par les instruments de flexibilité et l’extension de leur champ d’utilisation. Afin de financer une enveloppe supplémentaire de 3 milliards d’euros pour renforcer l’instrument d’aide d’urgence, créé en 2016 au plus fort de la crise migratoire, ainsi que le mécanisme de protection civile de l’Union (rescUE), la Commission a proposé de mobiliser les instruments spéciaux encore disponibles (instrument de flexibilité et marge pour imprévus) et de modifier le cadre financier pluriannuel 2014-2020 pour lever l’obstacle juridique à l’utilisation de la marge globale pour les engagements. Le champ d’application du Fonds de solidarité de l’Union européenne (FSUE), créé en 2002 pour soutenir les États membres et les pays en voie d’adhésion dans des situations de catastrophe majeure découlant de phénomènes naturels, comme les inondations, les tempêtes, les séismes, les incendies de forêts ou la sécheresse, a également été élargi aux urgences de santé publique majeures. Ceci ouvre la possibilité de recourir à une enveloppe supplémentaire de 800 millions d’euros en 2020. Les modalités d’utilisation du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) ont, elles aussi, été adaptées aux circonstances.

L’appel à des contributions volontaires des États membres de manière à ouvrir la possibilité à la Commission d’emprunter des fonds sur les marchés financiers en vue de les prêter aux États membres dans le cadre d’un nouvel instrument européen de soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence (SURE). Ce mécanisme de prêt à hauteur de 100 milliards d’euros serait soutenu par un système de garanties fournies par les États membres en fonction de leur part dans le revenu national brut (RNB) de l’Union européenne. Ce système de garanties vise à éviter aux États membres de devoir verser d’abord des contributions en capital, tout en fournissant le rehaussement de crédit nécessaire pour garantir une note de crédit élevée et protéger les ressources de l’Union. Un tel système permettrait donc d’accroître le volume de prêts aux États sollicitant une assistance financière tout en s’assurant que le passif éventuel de l’Union soit compatible avec ses contraintes budgétaires. Même si la base juridique, l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, a déjà été utilisée pour créer en 2010 le mécanisme européen de stabilisation financière (MESF), cette proposition, formulée par la Commission le 2 avril 2020, est assurément la plus novatrice.

La mobilisation du budget de l’Union européenne se heurte néanmoins à des limites structurelles importantes.

Dans la sphère des finances publiques, le budget de l’Union européenne est un objet atypique qui peine à s’inscrire dans la grille des trois fonctions – allocation, redistribution, stabilisation – traditionnellement dévolues à un budget public. Certes, il permet le financement de biens publics, comme la recherche, les infrastructures ou la convergence économique. Certes, il remplit une fonction de redistribution à travers la politique agricole commune ou la politique de cohésion. En revanche, sa faible taille (1 % du RNB de l’Union européenne) et la rigidité de sa structure obèrent sa capacité à assumer une fonction de stabilisation macroéconomique. Cette faiblesse bien connue s’était révélée très handicapante lors de la crise financière de 2008, le choix ayant alors été fait de constituer, hors budget européen, des mécanismes de gestion de crise permettant d’apporter un soutien financier aux États les plus touchés. Le budget européen n’est pas mieux armé aujourd’hui pour faire face à une crise sanitaire qui touche tous les pays européens qu’il ne l’était hier pour faire face à un choc asymétrique.

Le budget de l’Union européenne est avant tout le résultat de l’histoire de la construction européenne et d’une sédimentation reflétant l’approfondissement des compétences européennes et les élargissements successifs. Son rôle a souvent été celui d’un lubrifiant destiné à faciliter l’acceptabilité par les États membres, comme par les citoyens, de nouvelles avancées, en particulier le marché unique, l’union économique et monétaire ou les élargissements.

L’existence d’un cadre financier pluriannuel a des vertus importantes, en ce qu’il permet de concevoir des politiques reposant sur une programmation pluriannuelle tout en pacifiant les relations entre les deux branches de l’autorité budgétaire, que sont le Parlement européen et le Conseil. En revanche, cet encadrement pluriannuel, où près des trois-quarts des moyens disponibles sont pré-alloués aux États membres dans le cadre de la politique agricole commune et de la politique de cohésion, se révèle très rigide dès lors qu’il s’agit de faire face à un évènement imprévu. Cela est plus vrai encore aujourd’hui, au début du dernier exercice budgétaire de la période 2014-2020, alors que tous les instruments spéciaux visant à donner un peu de flexibilité à ce cadre dans des circonstances exceptionnelles ont déjà été largement utilisés.

Faire du futur cadre financier pluriannuel un élément central du redressement économique?

Le potentiel du budget européen pourrait s’avérer plus important dans le contexte du redressement économique qui suivra la crise. Lors de son discours devant le Parlement européen, le 16 avril 2020, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a déclaré que la réaction collective de l’Europe – bien qu’elle représente un montant supérieur à 3.000 milliards d’euros – ne suffira pas. Elle entend faire du budget de l’Union européenne «le vaisseau-mère du redressement de l’Europe» d’un «plan Marshall» capable de mobiliser « des milliers de milliards ». La Commission européenne devrait donc réviser la proposition de cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 qu’elle avait soumise aux États membres et au Parlement européen en mai 2018. Plusieurs pistes théoriques, non exclusives les unes des autres, peuvent être imaginées à cet effet.

La première, mais en réalité la plus improbable, consisterait à céder à la tentation de la feuille blanche. Elle viserait à dessiner ce que les États membres peuvent le plus utilement faire ensemble pour redresser l’économie européenne, promouvoir un mode de développement durable et relever les défis des transitions énergétiques et numériques. En passant les dépenses européennes au crible de critères objectifs – valeur ajoutée, subsidiarité, additionalité, proportionnalité –, pourrait ainsi émerger une structure très différente pour le budget européen. Cette hypothèse régulièrement développée par les travaux académiques a toujours été écartée au profit d’évolutions plus progressives. L’incitation que pourrait constituer la crise du coronavirus se heurte néanmoins à un principe de réalité : le nouveau cadre financier pluriannuel doit être adopté rapidement pour permettre aux politiques européennes d’être opérationnelles le plus tôt possible en 2021. Le temps presse et les États membres ne remettront pas en cause les fondamentaux qui sous-tendent leur position, que ce soit sur le volume du budget ou leurs préférences en matière de politiques conduites à l’échelle européenne.

La seconde piste consisterait à vouloir déplacer les curseurs de la négociation pour faire émerger un cadre financier 2021-2027 à la fois plus ambitieux et mieux adapté aux circonstances. Dans cette perspective, les leviers à actionner peuvent être de trois ordres. D’abord, une augmentation du volume global du cadre financier, avec une proposition révisée qui se situerait entre la proposition initiale de la Commission européenne (1,11 % du RNB de l’Union européenne) et la position du Parlement européen (1,3 %), étant entendu que le Conseil européen, profondément divisé entre États membres frugaux et dépensiers, a échoué à trouver un compromis en février 2020 sur la proposition du Président du Conseil européen qui représentait 1,07 % du RNB de l’Union européenne. Ensuite, en renforçant les enveloppes dédiées à certaines politiques. La Présidente de la Commission européenne a ainsi mis l’accent, à plusieurs reprises, sur la recherche et l’innovation, les infrastructures numériques, les énergies renouvelables, l’économie circulaire, les systèmes de transport du futur ou l’alimentation durable. Enfin, un recours accru aux instruments financiers qui permettent de maximiser l’usage de chaque euro disponible, à l’instar du Fonds européen pour les investissements dans le cadre du Plan Juncker ou du programme InvestUE dans la proposition de cadre financier pour 2021-2027.

La troisième piste, la plus prometteuse, consisterait à desserrer l’étau de la contrainte en augmentant le plafond des ressources propres. L’idée conceptualisée par le Commissaire européen en charge du budget, Johannes Hahn3, viserait à créer un espace plus important (« headroom ») entre le plafond du cadre financier et le plafond des ressources propres, lequel s’établit actuellement à 1,2 % du RNB de l’Union européenne et pourrait être porté pour une durée limitée jusqu’à 2 % du RNB. L’espace ainsi créé permettrait à la Commission européenne d’emprunter sur les marchés et de disposer ainsi d’une puissance de feu financière plus importante pour soutenir les efforts de redressement des États membres. Trois voies seraient alors théoriquement possibles pour utiliser ces moyens accrus : un mécanisme de prêt aux États membres (sur le modèle de SURE), un mécanisme de protection du niveau des investissements (sur le modèle de celui proposé par la Commission en mai 2018), un mécanisme de subventions (sur le modèle de l’Instrument budgétaire de convergence et de compétitivité, conçu comme un embryon de budget de la zone euro). De telles idées soulèvent naturellement des questions de principe quant au développement d’une capacité d’emprunt de l’Union au-delà des possibilités aujourd’hui très circonscrites. Leur opérationnalisation n’est pas non plus évidente, car toute modification de la décision sur le système des ressources propres requiert une ratification par les parlements nationaux, dont l’expérience a montré qu’elle prenait de l’ordre de deux ans.

Le Parlement européen, dans sa résolution adoptée le 17 avril 2020, a également des visées sur ce qui pourrait être fait au-delà du plafond de cadre financier pluriannuel. Il a ainsi proposé la création d’un Fonds de solidarité Covid-19 d’au moins 50 milliards d’euros, sous la forme de subventions (20 milliards d’euros) et de prêts (30 milliards d’euros), à mettre en œuvre sur les deux premiers exercices du cadre financier pluriannuel.

L’Eurogroupe a marqué son accord pour travailler sur un Fonds de redressement, temporaire, ciblé et calibré aux besoins, sans toutefois en préciser les modalités de fonctionnement. Dans ce contexte, la France plaide pour un Fonds de relance qui serait financé par des emprunts à très long terme effectués sur les marchés financiers avec une garantie conjointe des États membres pour bénéficier des meilleures conditions de financement. Cela permettrait de disposer de moyens très importants afin de financer des programmes du budget de l’Union européenne dirigés vers les pays les plus atteints. Le recours à des émissions communes permettrait un remboursement progressif des emprunts et d’étaler ainsi dans le temps le coût de cette crise. Pour autant, la France n’exclut pas le recours à un véhicule spécial, comme cela avait été le cas lors de la crise financière de 2008.

En tout état de cause, il y a aujourd’hui urgence à adopter un cadre financier 2021-2027 crédible pour répondre aux défis auxquels l’Union européenne est confrontée. Les débats s’annoncent âpres entre les Chefs d’État ou de gouvernement car au-delà du choc que constitue la pandémie de coronavirus, il est à craindre que chaque leader revienne rapidement sur sa «ligne d’eau»: les frugaux pour considérer que le volume de dépenses encourues sur les budgets nationaux à cause du coronavirus appelle à plus de prudence sur le budget européen ; les ambitieux pour souligner l’existence d’un moment européen, jamais crise n’ayant à ce point démontré l’importance de réponses communes ; les amis de la politique agricole commune pour plaider en faveur de la souveraineté alimentaire européenne ; les amis de la politique de cohésion pour dire que c’est bien cette politique qui s’est trouvée en première ligne face à la crise ; les amis des dépenses d’avenir pour faire valoir que seules la recherche et l’innovation nous prémuniront d’une rechute et que notre souveraineté industrielle est une garantie de notre autonomie stratégique. Ces débats sont, une fois encore, le révélateur de visions différentes de l’intégration européenne, d’attitudes diverses à l’égard des finances publiques, et plus prosaïquement, d’intérêts divergents entre les États membres.

Stéphane Saurel est ancien président du comité budgétaire du Conseil de l’Union européenne, maître de conférences invité à l’Université Saint-Louis (Bruxelles) et dispense régulièrement des formations à l’École nationale d’administration (ENA). Il est l’auteur de l’ouvrage Le Budget de l’Union européenne (Collection Réflexe Europe, La Documentation française, mai 2018).

Photo: Charles Michel, Président du Conseil / Union européenne, 2020

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