Paris – Berlin: Y a-t-il encore un abonné au numéro que vous avez demandé?

Quel que soit le résultat des élections européennes, il sera urgent de relancer une dynamique qui ne pourra repartir que si les deux grosses cylindrées du moteur européen acceptent de conduire la course en tête; si tant est qu’ils en aient envie!

Décidément, le vieil adage «on n’est jamais trahi que par les siens» risque fort de marquer un futur plus ou moins proche (en fonction de la démission ou non de la chancelière Angela Merkel) dans les rapports franco-allemands. Le Président français et la Chancelière ont beau essayer, – d’Aix-la-Chapelle où a été signé le nouveau «Traité de l’Elysée» à la visite du Président chinois qu’ils ont reçu ensemble à Paris – de donner le change et d’envoyer des signes de complicité apparente, la ligne Paris-Berlin donne des signes de dérangement et on a parfois l’impression d’entendre le message bien connu: «Il n’y a pas d’abonné au numéro que vous… avez demandé».

Pour beaucoup d’observateurs, cette impression a été confortée par le fait que ce n’est pas Angela Merkel qui a répondu à la tribune très pro-européenne qu’Emmanuel Macron a publiée dans un certain nombre de médias de l’Union Européenne, mais Annette Kramp-Karrenbauer (AKK), la présidente de la CDU! Une réponse à peine nuancée qui a suscité en Allemagne des réactions… plus que nuancées, elles!

Le «Handelsblatt» a parlé d’une tribune «débordante d’idées intelligentes qui (… ) marque le retour de Macron», mais la «Frankfurter Allgemeine Zeitung – FAZ» a carrément titré «Kramp-Karrenbauer lässt Macron abblitzen» (que l’on pourrait traduire par «AKK envoie Macron dans les choux!»). Dans une tribune publié par le Monde, Sigmar Gabriel, l’ancien Vice-Chancelier et Ministre de l’Economie a, en quelque sorte, résumé la réaction du SPD par un laconique «’En Allemagne, un silence assourdissant résonne à Berlin’, en réponse à l’appel d’Emmanuel à Macron».

Quand la «GROKO» perd sa majorité!

Le relais de Merkel par AKK a été interprété comme un signe de plus de la lassitude de la chancelière qui, au moment pourtant où selon les sondages, 59% des Allemands veulent qu’elle reste jusqu’au terme prévu (2021) et que Kramp-Karrenbauer, en quelques semaines, a glissé de la première place des «politiques» les plus aimés au troisième rang (ex-æquo avec les ministres sociaux-démocrates Heiko Maas et Olaf Scholz), pourrait bien, malgré les engagements pris, l’inciter à quitter le terrain avant la… fin du match! D’autant que selon les résultats obtenus aux élections européennes, le SPD pourrait, lui, être tenté de mettre un terme à la GROKO qui, toujours selon les récents sondages, n’aurait plus de majorité dans les intentions de vote. Si bien qu’AKK a engagé des discussions avec les Verts pour essayer de former une coalition à la «jamaïcaine» (CDU-Verts-FDP) pour le cas où la grande coalition éclaterait.

Merkel avait déjà été tentée par la formule «jamaïcaine» avant de se résoudre à la «GROKO»: mais le FDP s’était désisté, ce qui, selon son président, ne serait plus le cas aujourd’hui. Reste que le SPD souhaiterait qu’il y ait de nouvelles élections pour le cas d’une mise à mort de la «GROKO». En cas d’élections générales, la CDU/CSU recueillerait (sondage publié par la Bild Zeitung) 30% des intentions de vote (+1%), le SPD aurait 16% des voix (-1%), les Verts 17%, le FDP 9% (+1%), Die Linke 9% (également +1%), et l’AfD recueillerait 13% des voix (-1%).

Macron snobé dans un silence assourdissant

C’est sans conteste la menace de l’extrême-droite «AfD» qui explique qu’aussi bien la CDU/CSU que le SPD (quoi qu’il en dise) aient engagé un mouvement pour essayer de récupérer d’anciens électeurs qui sont passés à l’AfD. Le programme commun CDU/CSU (une sorte de «première», les deux partis se présentant jusqu’ici sur des programmes propres) pour les élections européennes est une réponse à cette menace, tout comme le contenu de la prise de position de la nouvelle patronne des chrétiens-démocrates qui plaide pour une Europe sociale (mais sans obligatoirement passer par une harmonisation des fiscalités ni par un salaire minimum européen, qu’elle qualifie de «mauvaise voie»), qui estime que fixer des valeurs limites et des objectifs ambitieux européens contre les pesticides ne sert à rien car il faut prendre en compte les aspects économiques et sociaux, qui défend l’Europe des Etats nation contre un «super-Etat européen» etc. Le coup de pied de l’âne est venu de Julia Klöckner, présidente déléguée (Stellvertretende Vorsitzende) de la CDU qui déclare: «Les propositions de Monsieur Macron sont intéressantes, mais elles ne valent pas plus que celles d’autres présidents ou chefs de gouvernements!»

Même au sein de la CDU, les réponses d’AKK, malgré le fait qu’elle a relevé des points de convergence avec Emmanuel Macron, ont été jugées inadaptées. Quant à la secrétaire générale du SPD, l’ancienne Ministre Andrea Nahles, elle a vivement critiqué les positions de la responsable chrétienne-démocrate en relevant son manque de propositions positives: «tout ce qu’elle a trouvé», a souligné la patronne du SPD, «c’est de transférer le siège du Parlement Européen de Strasbourg à Bruxelles», position qu’Angela Merkel avait déjà évoqué, provoquant un tollé en France! Quelques semaines après le Traité d’Aix-la-Chapelle, AKK a repris (comme Wolfgang Schäuble!) la demande de transférer le siège permanent de la France au Conseil de Sécurité de l’ONU à l’Union Européenne. Ceci, alors même que le problème paraissait pourtant réglé avec l’article 8§2 du Traité d’Aix la Chapelle qui prévoit que la France fera tout pour que l’Allemagne ait, elle aussi, un siège permanent au Conseil de Sécurité.

Le porte-avions… fantôme

Adhérant aux idées de Macron prônant des efforts communs en matière de défense (notamment fabrication en commun d’armements, soutien réciproque en cas d’agression, naissance d’une armée européenne, relance du «Conseil franco-allemand de défense et de sécurité – CFADS»), AKK lance (avec la bénédiction de…Wolfgang Schäuble et d’Angela Merkel!) le projet «abracadabrantesque» (comme aurait pu dire un ancien président de la République Française) de construire un porte-avion franco-allemand. Or, la France et la Grande Bretagne avaient déjà lancé, en 2003, un tel projet sous un chapeau franco-britannique. Après des années de recherches et beaucoup d’argent dépensé, l’idée a été abandonnée en 2013…

Le «Traité» – dont la députée «verte» Franziska Brantner a dit «il n’y a rien pour faire avancer l’Europe, seulement de belles promesses» – a prévu la création d’un mini-parlement européen composé de 50 parlementaires allemands et de 50 parlementaires français se retrouvant deux fois par an pour faire avancer les projets européens, veut engager une coopération transfrontalière efficace, promouvoir le bilinguisme. Il n’a pas prévu de réduire les tensions entre les deux pays à propos des livraisons d’armes à l’Arabie-Saoudite: le gouvernement allemand a bloqué (jusqu’en septembre) les exportations françaises (et britanniques) d’armes comportant des composants d’Outre-Rhin! Le différend France-Allemagne sur le «gazoduc Nord Stream 2», qui doit transporter le gaz russe par la Mer Baltique n’est pas soldé.

Le paradoxe veut que l’émergence de AKK coïncide avec la montée de problèmes entre les deux partenaires clés de l’Union Européenne, alors que la présidente de la CDU fut la plus francophile des ministres-présidents des Länder, elle qui voulait que sa région soit la porte d’entrée privilégiée de la France en Allemagne et qui a pris des dispositions pour faire du français la deuxième langue officielle en Sarre à l’horizon 2043! On n’est jamais trahi que….

Le retour de Thilo Sarrazin!

Le SPD n’échappe pas non plus aux efforts pour récupérer ses électeurs qui se seraient – selon les statistiques – tournés vers l’AfD. Récente illustration: la polémique qui a éclaté en Thuringe au sein du parti dont un membre (transfuge, il est vrai, depuis 2016 du parti d’extrême-droite) voulait inviter Thilo Sarrazin, le pourfendeur en chef de l’immigration, à un débat «clin d’œil» sur le thème de l’attitude à adopter vis à vis des réfugiés!

Comme en France, les élections européennes prennent de plus en plus le visage d’une sorte «d’élection de rappel» pour dresser la cartographie des forces politiques en présence dans le pays et servir de test grandeur nature. Dès lors, quels enseignements pourra-t-on en tirer sur le «désir d’Europe» du citoyen? Quel que soit ce résultat, il sera urgent de relancer une dynamique qui ne pourra repartir que si les deux grosses cylindrées du moteur européen acceptent de conduire la course en tête; si tant est qu’ils en aient envie! Jean Claude Juncker avait souligné, un jour, que les membres de l’Union marquaient de l’inquiétude lorsque le moteur franco-allemand démarrait, mais que rien n’avançait si ce moteur se mettait à l’arrêt…

Alain Howiller est ancien directeur-rédacteur en chef du quotidien Les Dernières Nouvelles d’Alsace et chroniqueur pour le quotidien franco-allemand en ligne eurojournalist.eu / Article publié en partenariat avec eurojournalist.eu / Photo: Filip Patock sous licence creative commons CC BY 2.0

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