Lutte contre les médicaments falsifiés: La France au plus mal

Depuis samedi 9 février, devraient pouvoir être identifiés et retirés du marché les médicaments contrefaits circulant au sein de l’Union. Une avancée sanitaire qui s’appuie sur de nouveaux dispositifs de sécurité mais qui, en France, et à l’inverse d’autres pays comme la Belgique, pose souci dans son application, faute d’anticipation ?

Et si l’Union réussissait à mettre un terme à la falsification des médicaments en Europe ? Si l’issue reste incertaine, la volonté de la Commission européenne est clairement affichée : depuis samedi 9 février, une nouvelle réglementation s’applique désormais aux dispositifs de sécurité pour les médicaments soumis à prescription vendus dans l’UE. L’objectif: identifier et retirer du marché de faux médicaments susceptibles de contenir des composants, y compris des composants actifs, de mauvaise qualité ou mal dosés (sous-dosage ou surdosage), ayant échappé aux procédures d’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité requises par la législation de l’Union et susceptibles de représenter un risque grave pour la santé.

«Première mondiale»

«En termes d’implication des parties prenantes, d’ampleur et d’utilisation des nouvelles technologies, ce nouveau système est une première mondiale et représente une étape sans précédent dans la prévention de l’entrée de médicaments falsifiés dans la chaîne d’approvisionnement légale», analyse l’EMVO, une structure regroupant des organisations représentant des fabricants de produits pharmaceutiques et des importateurs parallèles (Medicines for Europe, FEAIP, EAEPC), des grossistes (GIRP), des pharmaciens communautaires (PGEU) et des hôpitaux et pharmacies d’hôpitaux (EAHP, HOPE), créée en 2015 conformément aux dispositions légales énoncées dans la FMD (Falsified Medicines Directive 2011/62/UE) et au règlement délégué associé (UE/2016/161).

Adopté en 2011, la directive sur les médicaments falsifiés avait pourtant déjà introduit des mesures de sécurité et de contrôle harmonisées à l’échelle européenne facilitant l’identification des médicaments falsifiés et améliorant les vérifications et les contrôles aux frontières et à l’intérieur de l’Union. Mais, si, selon l’Organisation mondiale de la Santé, l’Union reste bien moins touchée par la contrefaçon que les pays à revenu faible ou intermédiaire, où un médicament sur dix est falsifiés, des mesures complémentaires restaient encore à prendre pour parachever la directive de 2011, selon Vytenis Andriukaitis, le commissaire pour la santé et la sécurité alimentaire, qui avait fait de cette réforme l’un des objectifs de son mandat. Et celui-ci de relever, à titre d’exemple, que rien qu’en 2017, des médicaments falsifiés d’une valeur d’environ 7 millions d’euros avaient, en dépit de ces premières dispositions, encore été saisis aux frontières de l’Union.

«Un nouvel exemple de la valeur ajoutée de la coopération dans l’UE»

Principale mesure nouvelle : l’introduction de dispositifs de sécurité obligatoires sur l’emballage extérieur des médicaments soumis à prescription et un système d’authentification de ceux-ci. Concrètement, « le fabricant devra apposer un code-barres en deux dimensions (‘datamatrix’ de son nom technique) et un dispositif anti-effraction sur l’emballage des médicaments soumis à prescription », indique-t-on du côté du Berlaymont. Les pharmacies, y compris les pharmacies en ligne, et les hôpitaux devront quant à eux vérifier l’authenticité des médicaments avant de dispenser ceux-ci aux patients, en confrontant leurs numéros de série unique à une base de données européenne d’authentification des médicaments. Une petite victoire et un « nouvel exemple de la valeur ajoutée de la coopération dans l’UE » pour Vytenis Andriukaitis, applicable dans l’ensemble de l’Union à l’exception de la Grèce et de l’Italie, ces deux Etats ayant obtenu un report de six ans, étant considéré qu’« ils disposaient déjà de systèmes similaires ».

Exergue 2 : « Les pouvoirs publics n’ont toujours pas défini un cahier des charges pour les éditeurs de logiciels et, donc, aucune pharmacie n’a pu s’équiper»

Petit bémol, toutefois, à ce qui s’apparente à une avancée pour le consommateur : la mise en pratique d’une telle réforme semble encore loin d’être optimale. Si, du côté les laboratoires pharmaceutiques chacun se dit prêt à assurer le bon fonctionnement du système, rien n’est moins sûr en bout de chaîne dans les différentes officines européennes, dont les 21.500 que compte la France. « Les pouvoirs publics n’ont toujours pas défini un cahier des charges pour les éditeurs de logiciels et, donc, aucune pharmacie n’a pu s’équiper », déplore ainsi Philippe Besset, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Un point d’application crucial qui, dans le cas de la France, notamment, pourrait retarder d’au moins une année l’application d’un système concernant 1,6 milliards de médicaments sur les 2 milliards vendus chaque année dans le pays.

En France, 5% des établissements hospitaliers se disent prêts

Autres questions ouvertes : quid du temps passé par les pharmaciens à scanner chaque médicament et pris sur leur temps de conseil ? Quid, aussi, de l’application d’une telle mesure au sein des hôpitaux, alors que les boîtes ne sont pas délivrées aux patients lors de leur hospitalisation et que ceux-ci reçoivent leur traitement comprimé par comprimé, dose par dose? Selon un sondage du Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU) et du Syndicat national des pharmaciens gérants hospitaliers (SNPGH), seulement 5% des 291 établissements interrogés seraient en effet en mesure d’appliquer cette réglementation, indiquait ainsi le 7 février Pascal Le Corre, le président du SNPHPU, à Hospimedia, regrettant parallèlement « le manque de moyens humains et techniques des pharmacies à usage intérieur (PUI)». Quid, enfin, du remboursement d’un médicament acheté par un pharmacien et détecté comme falsifié? « Qui sera responsable de la boîte suspecte » si le système invalide un médicament acheté par un pharmacien?», interroge à son tour Gilles Bonnefond, président délégué à l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).

Anticipation belge

Particulièrement prégnantes en Frances, ces questions semblent toutefois pas se poser pour l’heure dans d’autres Etats membres parmi lesquels la Belgique, où Pieter Boudrez, président du conseil d’administration de la Belgian Medicines Verification Organisation (BeMVO) – un organisme à but non lucratif représentant les différents partenaires, Marketing Authorisation Holders et Distribution stakeholders, impliqués dans la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement légale des médicaments en Belgique – soulignait à l’inverse être « particulièrement fier que toutes les parties prenantes du secteur pharmaceutique belge, du producteur de médicaments au grossiste jusqu’à la pharmacie, aient rapidement pris à cœur, il y a des années déjà, la mise en œuvre de cette directive européenne ». La France souffrirait-elle d’un manque caractérisé d’anticipation où le mal n’aurait-il pas encore identifié dans d’autres Etats membres? «Dans les semaines et les mois à venir, le nouveau système fera l’objet d’un suivi afin de s’assurer qu’il fonctionne correctement», offrent à cette l’heure, pour seul commentaire, les services de Vytenis Andriukaitis.

Christophe Nonnenmacher est chargé de mission au Pôle européen d’administration publique de Strasbourg (PEAP). Journaliste spécialisé sur les questions européennes, il a notamment travaillé pour La Semaine de l’Europe, La Quinzaine européenne et l’Européenne de Bruxelles, avant de diriger, jusqu’en 2009, le site Europeus.org, qu’il cofonda en 2004 avec Daniel Daniel Riot, alors directeur de la rédaction européenne de France3. Il a également travaillé cinq ans au Parlement européen.
Photo : Penn State sous licence creative commons

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