Galileo: vers un Brexit spatial?

«Les pays tiers (et leurs entreprises) ne peuvent participer au développement d’aspects sensibles sur le plan de la sécurité» (Michel Barnier)

«Le Brexit est un résultat perdant-perdant pour l’Europe et la Grande-Bretagne» qui incitera l’entreprise à revoir sa «stratégie d’investissement» (Tom Enders – Airbus)

Entre enjeux sécuritaires et économiques, le système de positionnement par satellite Galileo engendrera-t-il une guerre des étoiles entre Londres et Bruxelles ? Bien que co-financeur de ce programme concurrent du GPS américain, le Royaume-Uni pourrait, au lendemain du Brexit, en perdre tous les bénéfices alors qu’en dépendent notamment ses services de défense et d’urgence. Une perspective inacceptable pour Theresa May.

Alors que se poursuivent les discussions sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, un nouveau dossier s’est récemment ajouté à la table des négociations: le maintien de la participation de Londres dans les programmes de politique spatiale européenne. Tout particulièrement visé, le programme Galileo, dont elle pourrait se voir exclue, bien qu’elle l’ait co-financé à hauteur de 12%. Plus précis et plus fiable que le GPS américain ou le GLONASS russe, Galileo est en effet un enjeu stratégique et souverain, tant sur le plan civil que militaire pour les Vingt-Sept. Quand bien même Londres aurait-elle fortement participé à sa mise en place annoncée comme pleinement opérationnelle en 2020 (22 satellites sur 30 ont déjà été placés en orbite depuis 2016), nul ne cache son inquiétude dans les couloirs du Conseil et de la Commission quant à l’idée qu’un pays voué à quitter l’Union puisse bénéficier, au même titre qu’un Etat membre, d’une technologie offrant, à l’inverse de ses concurrents étrangers, une continuité de service autonome ou un signal de géo-positionnement crypté réservé à ses forces armées.

Argument avancé côté européen: la dangerosité de partager des données sensibles avec un pays tiers. Loin de relever de la politique fiction, une telle perspective a déjà commencé à prendre forme en janvier dernier, avec l’annonce de la relocalisation en Espagne du site de sauvegarde du Centre de surveillance de la sécurité Galileo (CSSG), jusqu’alors implanté à Swanwick. Justifiant alors la démarche, la Commissaire pour le Marché intérieur, l’industrie, l’entrepreneuriat et les PME Elżbieta Bieńkowska, relevait qu’en «adoptant cette décision, la Commission (prenait) les mesures opérationnelles nécessaires pour assurer la continuité des opérations et préserver la sécurité du système Galileo».

Les entreprises britanniques écartées de Galileo ?

Du côté du Négociateur en chef du Brexit pour l’Union, le credo n’est guère différent : «Notre responsabilité est de maintenir (notre) autonomie et de protéger nos intérêts essentiels en matière de sécurité (…) En particulier, les pays tiers (et leurs entreprises) ne peuvent participer au développement d’aspects sensibles sur le plan de la sécurité, tels que la fabrication de modules de sécurité du signal PRS» expliquait ainsi en mai dernier Michel Barnier, à l’occasion d’un discours prononcé à l’Institut des études de sécurité de l’Union européenne. Ironie du sort, soulignait dans les colonnes du Monde, le ministre britannique du Brexit David Davis, avant que celui-ci ne démissionne de ses fonctions: «Les informations qu’on refuse de nous donner sont cryptées par nous». Première entreprise concernée, la filiale britannique de l’entreprise canadienne CGI en charge, justement, du cryptage du signal PRS mentionné par l’ancien Commissaire français. Autre société concernée, la Surrey Satellite Technology Ltd (SSTL), en charge de la fabrication des satellites. Ecarter les entreprises britanniques de Galileo n’aurait par conséquent rien d’anodin;15% des commandes de prestation leur ayant été attribuées depuis le lancement du programme. Ceci, qui plus est, à l’heure où l’Agence spatiale européenne est en phase de conclure plusieurs contrats de long terme.

L’Empire contre-attaque

Sans surprise, la perspective d’une mise à l’écart de son secteur industriel et technologique n’a pas manqué d’irriter Londres qui multiplie, depuis lors, les déclarations publiques en ce sens. Première à dégainer, Theresa May a ainsi menacé les Vingt-Sept de leur réclamer un milliard d’euros pour compenser les investissements britanniques dans les programmes spatiaux européens. Puis, la cheffe de l’Exécutif britannique annonce, début mai, la réflexion menée par ses services autour d’un co-développement de son propre système de navigation par satellite avec l’Australie. Cette annonce était concomitante avec la création de la toute première Agence spatiale australienne en juillet. Pourtant, il reste la question du coût de développement d’un système indépendant, jugée astronomique par les experts anglais : de 4 à 7 milliards d’euros pour un programme satellite.

« Un résultat perdant-perdant »

Si les Européens venaient à confirmer leurs intentions, Londres aurait sans doute beaucoup à perdre mais les dommages ne seraient, a priori, pas non plus neutres pour les Vingt-Sept, qui plus est dans un secteur économique particulièrement imbriqué. De nombreuses entreprises travaillant sur le programme spatial étant situées outre-Manche, la facture générée par une relocalisation sur le continent de leurs activités engendrerait inévitablement de nombreux coûts pour les groupes transeuropéens auxquels elles sont affiliées. Outre les frais afférents à une délocalisation de leurs activités pour conserver leurs chances de travailler sur le programme, certains groupes ne cachent pas leurs craintes de voir également Londres sortir du système douanier, engendrant dans ce cas pour l’ensemble de leurs activités, des taxes à l’importation auxquelles elles n’étaient pas soumises tant que le Royaume-Uni était membre de l’Union. Le premier intéressé par de telles conséquences est le leader dans le domaine spatial au Royaume-Uni, Airbus industries. L’entreprise génère non seulement 15.000 emplois directs et 100.000 indirects par l’intermédiaire de sous-traitants locaux, mais elle est également actionnaire majoritaire de SSTL, l’entreprise en charge de la fabrication des satellites pour Galileo. Pour Tom Enders, PDG du groupe, le constat est clair: le Brexit «est un résultat perdant-perdant pour l’Europe et la Grande-Bretagne» qui incitera l’entreprise à revoir sa «stratégie d’investissement (Outre-Manche), comme tout le monde».

Après les Chequers, la pression mise sur les Vingt-sept

Une petite lueur d’espoir point néanmoins dans cette guerre des étoiles: la réorientation, le 6 juillet, de la feuille de route britannique, à l’occasion du communiqué des Chequers – du nom de la villégiature de l’hôte du 10 Downing Street -, qui a, pour certains, sonné comme un soulagement. Prônant désormais un «Brexit doux» fondé sur «une zone de libre-échange pour les biens» et le maintien de liens commerciaux étroits avec l’Union européenne, le nouveau Plan May, s’il a engendré plusieurs démissions du gouvernement – dont celles remarquées des ministres du Brexit et des affaires étrangères David Davis et Boris Johnson -, a visiblement eu de quoi rassurer Tom Enders. En réponse, ce dernier publiait cette fois sur le compte Twitter de la compagnie que «le communiqué des Chequers semble montrer que le gouvernement de Sa Majesté va dans la bonne direction». Et celui-ci d’ajouter, après avoir mis auparavant la pression sur Londres, que «nous sommes (désormais) en droit d’attendre que Bruxelles et nos autres pays d’origine se montrent aussi pragmatiques et justes». Si le message a été entendu à Bruxelles, le Berlaymont s’est néanmoins permis en guise de réponse de rappeler sobrement certaines règles du jeu et procédures, parmi lesquelles celle voulant que si le Royaume-Uni souhaite continuer sa collaboration avec l’Union européenne en matière d’industrie spatiale et que s’il souhaite avoir accès à la partie cryptée du programme, il devra inévitablement négocier un contrat avec les Européens, de la même manière qu’un pays tiers l’aurait fait. Il n’est dès lors pas certain que les concessions faites par Theresa May sur un «Brexit doux» suffisent à résoudre l’équation spatiale et à garantir que les «hard Brexiters», dont le nouveau Secrétaire d’Etat au Brexit Dominic Raab, déjà rétrogradé, accepteront de défendre longtemps le positionnement adopté aux Chequers.

Photo: Pierre Carril / © Agence spatiale européenne (ESA) , 2016 / Source: EC – Audiovisual Service

© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.