E-cinéma, VOD, day-and-date: le cinéma européen se cherche (encore) un nouveau modèle

Face à la puissance d’Hollywood, Netflix et autres Amazon, quelle marge de survie pour le cinéma européen à l’ère du tout numérique? Entre optimisation de la diffusion de ses films et recherche d’un équilibre entre les diffuseurs pour ne pas ébranler un marché déjà instable, l’Union réécrit dans l’ombre son scénario digital. Mais a-t-elle encore seulement le choix de la mise en scène…? 

«La salle de cinéma, c’est le clocher de l’église, tant au sens social qu’au sens économique et politique». Lorsque Florence Gastaud, déléguée générale de l’ARP (la Société des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs de cinéma), décrit l’industrie du cinéma en Europe, son verdict est sans appel: malgré l’avènement du numérique et l’arrivée d’une multitude de nouveaux concurrents, la salle de cinéma reste le pilier d’un secteur en pleine transformation. Pourtant, les films européens ne brillent pas par leurs performances en salles: s’ils représentent près de deux tiers des sorties dans l’Union européenne, ils ne réalisent en revanche qu’un tiers des entrées. «A titre de comparaison, en 2012, les productions américaines ont représenté 20% des sorties en salle et 65% des entrées dans l’UE»…Constatant ce manque de dynamisme du cinéma européen, l’Union a donc pris acte de la nécessité de promouvoir de nouveaux modèles de distribution des films sur le continent.

Avec le numérique et la nouvelle logique du «tout disponible», l’économie de l’audiovisuel a en effet connu un profond bouleversement. Entre les exploitants de salles, les chaînes de télévision et les opérateurs de services de VOD comme Netflix ou CanalPlay, la rivalité est devenue féroce, et face à cette offre pléthorique, les spectateurs ont désormais l’embarras du choix. Dans ce contexte de concurrence accrue, certains militent pour une révision de la chronologie des médias. Cette règle, qui définit l’ordre et le délai des différentes fenêtres d’exposition d’un film, vise à créer de la rareté et donc à susciter le désir des spectateurs, en imposant par exemple aux chaînes de télévision d’attendre a minima 22 mois après la sortie en salle d’un film avant de le diffuser en clair sur leur antenne. Mais à l’heure du numérique, certains estiment qu’il est temps d’inverser ce paradigme et de chercher au contraire à diffuser les films le plus largement possible. Parmi eux, en France, l’ARP – la Société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs -, qui estime que la chronologie des médias traditionnelle n’est plus adaptée à des modes de consommation qui se caractérisent désormais par une exigence de disponibilité immédiate des contenus. Désireuse de faire évoluer les pratiques, l’ARP a participé en 2014 à l’action préparatoire de l’Union européenne sur la circulation des films à l’ère numérique, en testant des modes de distribution inédits des films sur le continent tels que les sorties multi-territoriales, en e-cinéma (directement en VOD) ou encore en day-and-date (simultanément en salles et en VOD).

De cette expérience, Florence Gastaud retient la difficulté à convaincre les exploitants de salles et les chaînes de télévision d’accepter la remise en cause de leur pré carré. Difficile en effet pour une industrie qui a ‘découvert’ Internet avec le piratage de considérer désormais le web comme une opportunité d’atteindre de nouveaux publics. Mais pendant que les acteurs traditionnels du secteur audiovisuel restent frileux et tergiversent, Internet n’attend pas et des sociétés comme Netflix ou Amazon se sont déjà taillé la part du lion sur le marché de la vidéo à la demande. Face à cette mutation numérique galopante, l’Union européenne s’est d’ores et déjà lancée dans une phase prospective : outre l’action préparatoire lancée en 2014, l’UE finance dans le cadre du programme Europe Créative de nombreux ateliers destinés à sensibiliser et former les professionnels européens de l’audiovisuel aux nouveaux outils numériques. Comme l’explique Franck Vialle, responsable du département Audiovisuel et Cinéma de l’Eurométropole de Strasbourg, «il ne s’agit pas de réparer un problème, mais de se projeter dans l’avenir».

L’enjeu est double pour l’industrie cinématographique européenne: il s’agit d’optimiser la diffusion des films européens pour leur permettre de toucher un public large et transcendant les frontières nationales, tout en trouvant un équilibre entre les diffuseurs, pour ne pas ébranler un marché déjà instable. C’est dans cette démarche que s’inscrit l’ARP, qui milite pour des modèles de sortie innovants certes, mais régulés. Leur plus grande crainte: qu’en l’absence de bonne volonté de la part des grands acteurs de l’industrie, les géants du numérique – les fameux GAFA – ne finissent par imposer leurs propres règles du jeu.

À propos de l’auteur : Alexandra Yeh est étudiante en Master 2 Politiques européennes et Affaires publiques, à Sciences Po Strasbourg, membre du groupe de travail Audiovisuel et Cinéma en Europe, du Pôle européen d’administration publique.

Photo: Connect Euranet sous Creative commons

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