Anne Sander (PPE): « Les Etats ne peuvent à la fois dénoncer l'impact des déséquilibres sociaux et éviter que l'Union n'interfère dans leurs politiques nationales »

L’Union serait-elle impuissante à imposer une convergence sociale en Europe susceptible de mettre un frein au dumping social de certain Etats membres et de renforcer ainsi la protection de l’ensemble des entreprises et des travailleurs européens? «Non», répond en partie Anne Sander, invitée de septembre du cycle 2015 des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à l’Europe sociale. «Non», pour peu, toutefois, que les Etats membres prennent leurs responsabilités et s’accordent sur la mise en oeuvre d’une véritable politique commune ambitieuse et volontariste en matière d’emploi…

«Je suis pour une Union plus intégrée, avec des règles édictées et sanctionnées ensemble», déclarait mercredi 9 septembre Anne Sander, à l’occasion de son intervention dans le cadre du cycle 2015 des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à l’Europe sociale. Presque à contre-courant, du repli identitaire de nombreux Etats membres en matière d’emploi, la députée européenne PPE Anne Sander n’en démord pas : si solution il y a à la lutte contre le chômage et à la relance économique des entreprises en Europe, celle-ci passe inévitablement par un renforcement des politiques européennes. Plus qu’un simple crédo fédéraliste, une approche de bon sens, à écouter l’ancienne attachée parlementaire de l’actuel président du Parti populaire européen, Joseph Daul. Car, sans approche commune, aucune avancée ne pourra être obtenue en matière d’harmonisation fiscale ou salariale en Europe. Une harmonisation source de nombreuses tensions internes dans les pays membres, dont l’une des plus médiatisées ces derniers mois reste celle des travailleurs détachés. Reste, pour y parvenir, à convaincre les Etats membres de mettre fin à une forme de double langage consistant à dénoncer l’impact négatif des déséquilibres sociaux en Europe, tout en «se retranchant derrière le principe de subsidiarité pour éviter que l’Union n’interfère trop dans leurs politiques nationales» et ne cherche, par là-même, à leur imposer une certaine cohérence communautaire.

L’Elargissement : faux bouc-émissaire de l’échec des politiques sociales

Point récurrent de cristallisation des crispations sociales parmi les membres historiques de l’Union, l’Elargissement fait souvent office de bouc-émissaire d’une réalité sociale dégradée et d’un dumping social exacerbé. «Ce ressenti est réel chez un certain nombre de citoyens, reconnait l’élue. Mais nous ne sommes pas allés trop loin avec l’Elargissement». Le Marché intérieur, même élargi reste une «opportunité réelle pour nos entreprises et nos travailleurs d’être mobiles dans toute l’Union, insiste-elle. Cela même si l’Elargissement s’accompagne également d’une difficulté consistant à ce que ceux-ci se retrouvent confrontés, parfois de manière déloyale, à une concurrence sociale et salariale, voire, pour les PME, à une concurrence sur des coûts qu’elles ne maîtrisent parfois pas». Sans nier la réalité des faits, Anne Sander pose les termes du débat: comment valoriser et développer les opportunités liées à l’Elargissement tout en reconnaissant et réduisant progressivement ses effets plus discutables? Au cœur de la polémique, sur laquelle la plupart des partis eurosceptiques font leur lit, la création d’un fossé salarial et social de part et d’autre de l’Union. Là où le salaire minimum atteint 1922,96 euros mensuels au Luxembourg, celui-ci ne dépasse pas les 184,07 euros en Bulgarie. Vu du terrain, de nombreux chefs d’entreprises, des salariés directement confrontés aux effets de cette concurrence géographique au sein d’un même marché, ne manquent pas de stigmatiser cet écart: « Lorsque vous discutez avec nos agriculteurs, illustre Anne Sander, avec tous les secteurs qui emploient beaucoup de main d’oeuvre, ce différentiel est un véritable problème!». Mais croire que l’Elargissement en serait la seule cause, que le Parlement ou la Commission vers lesquels se tournent régulièrement les états-majors politiques nationaux en période de mécontentement populaire, pourront seuls résoudre cette équation relève indéniablement du leurre. Plus que l’Elargissement en tant que tel, la gestion de l’Elargissement et les blocages gouvernementaux lorsqu’il s’agit d’harmoniser vers le haut les politiques sociales définissent le véritable cœur du problème.

Petit déjeuner européen de l’ENA avec Anne Sander from Ecole nationale d’administration on Vimeo.

L’inertie des Etats au cœur du débat

Idéalement, tout le monde ou presque s’accorde sur l’importance d’harmoniser le revenu minimum en Europe, à aller vers davantage de convergence sociale. Mais, lucide, Anne Sander prévient qu’il serait à cette heure «irresponsable de promettre à nos concitoyens que cela puisse se faire rapidement». Ceci d’autant plus qu’aligner, sans période transitoire, le salaire minimum de pays comme la Bulgarie ou la Roumanie sur celui de la France ou des Pays-Bas ne pourra en toute logique se faire sans condamner des entreprises locales – et des emplois – jusque-là pérennes, car pour partie concurrentiels sur le coût de la main d’oeuvre. Or, à moins que les Etats membres les plus riches acceptent transitoirement de financer un tel rattrapage salarial – que ne pourront pas prendre directement en charge les entreprises locales -, précipiter une mise à niveau ne serait pas sans conséquences sociales et économiques pour ces pays. Quant aux emplois liés aux grands groupes industriels ayant délocalisé leur production en Roumanie, par exemple, ceux-ci se verraient inévitablement menacés de nouvelles délocalisations, finissant de fragiliser l’ensemble du tissu économique local…

Solution intermédiaire: que dans chacun des Etats membres soit déjà «mis en place un salaire minimum national», plaide Anne Sander. Une première voie qui, dans un second temps, encourage-t-elle à titre personnel, pourrait permettre de construire un salaire minimum européen «qui serait un pourcentage du salaire médian dans chaque pays». Mais là encore, et quand bien même son groupe politique, majoritaire au Parlement viendrait à la soutenir dans cette démarche, rien ne pourra se faire sans l’assentiment des Etats membres.

Une marge de manœuvre communautaire réduite mais réelle

Pris au piège des contradictions étatiques, Bruxelles et Strasbourg seraient-elles dès lors impuissantes à renforcer la protection des entreprises et des travailleurs en Europe? Pas tout à fait, nuance l’élue PPE. Si la marge de manœuvre de la Commission et du Parlement reste faible, les députés ont néanmoins obtenu, lors de la précédente législature, la création de l’Initiative pour l’emploi des jeunes, avec, à la clé, la mise à disposition de fonds visant à soutenir l’emploi dans des régions et départements particulièrement touchés par la crise. Une mesure que les députés européens ont depuis consolidée en réhaussant le taux de préfinancement de ce programme afin de faciliter sa mise en œuvre dans les territoires cibles. Autre mesure à mettre au crédit des institutions communautaires, le Fonds social européen, crédité chaque année de 10 milliards d’euros, auxquels s’ajoute la part des Etats membres, et qui permet à des millions d’Européens d’acquérir de nouvelles compétences, de trouver de meilleurs emplois ou encore de favoriser la création d’entreprises. Un fonds qui, à défaut de pouvoir bénéficier de crédits supplémentaires dans un contexte où les Etats membres se refusent tant à abonder davantage le budget de l’Union qu’à lui permettre de se doter d’un budget propre, pourrait être réorienté – au moins en partie – vers «la lutte contre le chômage de longue durée», plaide l’élue PPE.

Vers une harmonisation européenne de l’assiette de l’impôt sur les sociétés? 

Si l’on ajoute à ceci le soutien, sur la question des travailleurs détachés, à «la mise en place de contrôles renforcés dans les pays d’accueils et d’une responsabilité conjointe et solidaire de la chaîne des sous-traitants afin de mieux prévenir les abus», certains effets contestables de l’Elargissement pourraient prochainement être atténués. Combinées à la mise en place d’une plateforme européenne de lutte contre le travail non déclaré, la préparation, d’ici décembre, d’un «paquet mobilité», ou encore, d’ici 2016, d’un «paquet routier» et d’une harmonisation européenne de l’assiette de l’impôt sur les sociétés (ACCIS), ces mesures pourrait, in fine, laisser augurer d’un début de politique sociale communautaire. Ceci, dans les limites, du moins, du champ d’intervention autorisé par les Etats membres à la Commission et au Parlement. Une politique des petits pas, certes, mais qui, notamment dans le cas de l’ACCIS – dont l’un des objectifs consiste en la «lutte contre l’évasion fiscale des entreprises en supprimant les disparités entre les systèmes nationaux et en établissant des dispositions communes en matière de lutte contre l’évasion fiscale» -, pourrait réduire progressivement un phénomène de concurrence faussée au sein de l’Union et assurer, de fait, une certaine stabilité aux 23 millions de PME recensées dans l’UE28. 23 millions de PME qui, appuie Anne Sander, représentent à ce jour «99% des entreprises, 67% des emplois existants et 85% des nouveaux emplois en Europe». Et d’ajouter que si certains Etats, dont la France, s’engageaient parallèlement dans « une diminution des charges sociales et des coût réglementaires et administratifs des entreprises », nul doute que pourrait s’enclencher un mécanisme de réduction des écarts de compétitivité entre Etats membres. Mais là encore, tel un vieux serpent de mer, faut-il qu’une telle volonté existe au niveau national.

Photo: Service audiovisuel du Parlement européen

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