Etudes d'impact: Nouveau contre-pouvoir du Parlement?

Comment savoir si une initiative législative portée par la Commission européenne va dans le sens de l’intérêt général ou répond prioritairement à la défense d’intérêts particuliers, économiques ou politiques? La possibilité donnée depuis novembre aux commissions parlementaires de commander des contre-études d’impact sur le fond à un service administratif dédié pourrait finir d’éclairer cette question. Avec, en filigrane, la possibilité pour les élus de renforcer par la même occasion leur indépendance politique et législative vis-à-vis du Berlaymont en matière de construction des politiques publiques européennes.

Vérifier la méthodologie des études d’impact que la Commission européenne joint au dépôt de toute proposition législative n’est pas un fait nouveau pour les services du Parlement. Pas plus que pour les élus. L’unité «Evaluation de l’impact ex ante», composée d’un petit groupe de fonctionnaires désormais rattachés à une Direction générale autonome des autres directions du Secrétariat général de l’institution parlementaire, a d’ailleurs spécifiquement été créé à cet effet. Mais, fait nouveau cette fois, suite à l’adoption de la résolution parlementaire du 27 novembre 2014 «la révision des lignes directrices de la Commission concernant l’analyse d’impact et le rôle du test PME», celle-ci a désormais toute capacité pour effectuer des études d’impact, non plus seulement sur la forme, mais également sur le fond des dossiers, à la demande d’une commission parlementaire. Une petite révolution institutionnelle encore mal connue, voire inconnue de nombreux élus, qui pourrait progressivement permettre au Parlement de gagner en indépendance et en influence politique dans le débat législatif vis-à-vis d’un exécutif européen particulièrement courtisé par les groupes d’intérêts.

Délais particulièrement resserrés

Principale contrainte, néanmoins, pour les services de cette unité parlementaire: produire un travail de qualité dans des délais particulièrement resserrés, au risque que celui-ci ne puisse être inclus dans les premiers débats parlementaires ou de retarder les votes au Parlement. Conduite à la demande de la Commission Environnement, Santé publique et Sécurité alimentaire, l’étude Novel Food a ainsi due être réalisée en deux mois, là où les services de la Commission disposent, en amont, d’un temps de travail bien supérieur pour rendre leurs études. Portant sur l’autorisation de mise sur le marché d’aliments ou d’ingrédients dont la consommation était négligeable, voire inexistante dans les pays de l’Union européenne avant le 15 mai 1997, celle-ci avait pour objectif de cibler les aspects clé de la proposition législative de 2013 de la Commission et plus particulièrement les aspects liés à la définition même des «Novel Foods», au rôle des autorités nationales et des agences dans un système centralisé ou encore à la cohérence de la nouvelle réglementation proposée par la Commission avec toute autre obligation réglementaire européenne. Deux mois, un temps relativement resserré mais qui ne suffit néanmoins pas toujours à satisfaire l’urgence parlementaire, relève un élu PPE qui pointe les conséquences politiques de cette course contre la montre: «Généralement les services du Parlement mettent un temps relativement long à réaliser ces études. Parfois, lorsque de courts délais s’imposent, nous sommes contraints de prendre position sur des sujets avant même que l’étude d’impact ait pu être finalisée!». Bénéficiant de la première étude réalisée par la Commission, des députés avouent, en conséquence, souvent se passer des analyses du Parlement.

Indépendance parlementaire

Quel intérêt, dès lors, pour les services du Parlement, de présenter des études d’impact coûteuses en personnel et en temps si les députés ne s’en servent finalement que marginalement? La principale raison semble ici tenir à une volonté d’influence et d’indépendance politique du Parlement vis-à-vis du Berlaymont. Une orientation que confirme d’ailleurs le paragraphe de la Résolution du 27 novembre dernier, qui insiste sur le besoin de «garantie» de «l’indépendance des études d’impact». «Dans la pratique, il est difficile de s’assurer de la neutralité politique des travaux de la Commission, explique ainsi une conseillère politique S&D. C’est pour séparer volonté politique et expertise scientifique et gagner en indépendance que le Parlement a créé cette unité».

Neutralité dans l’accès aux sources

Au cœur de la réforme, donc, une remise en cause du positionnement – de fait – de juge et partie de la Commission et la recherche, par souci de rééquilibrage politique, d’une certaine neutralité dans l’accès aux sources. Une neutralité qu’il est toutefois «parfois difficile de garantir pleinement», nuance une fonctionnaire de l’unité en charge des études d’impact du Parlement. Et celle-ci de relever en substance que l’institution n’est, dans le contenu de ses travaux, pas elle-même à l’abri de quelque influence, politique ou économique, qui plus est quand une étude, en raison de son caractère particulièrement technique, est réalisée par un prestataire extérieur. Ceci, malgré la mise en place d’un certain nombre de garde-fous, dont une sélection du prestataire sur appel d’offre ou la certification, par ce dernier, qu’aucun conflit d’intérêt sur un dossier ne puisse entraver l’objectivité de son travail.

Une utilité déjà prouvée 

Irréprochables ou non quant à leur totale objectivité, ces études n’en demeurent pas moins particulièrement utiles aux rapporteurs et «rapporteurs fictifs» des commissions, à l’origine de leur commande. Mieux, celles-ci auraient déjà prouvé leur utilité plus d’une fois, notamment en cas d’obsolescence d’une étude transmise par la Commission. Un point qu’éclaire un élu PPE au regard de l’examen du Paquet «Qualité de l’air / Air pur» par la commission « Environnement, santé publique et sécurité alimentaire » (ENVI): «En octobre 2014, le Conseil européen a adopté de nouveaux objectifs en matière d’énergie et de climat à l’horizon 2030», explique-t-il, «les variables antérieures de l’étude d’impact sur laquelle la Commission européenne avait fondé son analyse nous paraissaient moins pertinentes» au regard de ce revirement politique. Afin de disposer de données actualisées, la Commission ENVI a alors pris le parti de demander au Parlement une étude d’impact complémentaire sur le sujet. Un résultat là encore conforme aux dispositions du paragraphe 23 de la Résolution de 2014 disposant qu’il «est particulièrement nécessaire de recourir à une étude d’impact parlementaire lorsque des changements de fond ont été apportés à la proposition initiale de la Commission», que l’élu commente sobrement comme «probant». Le signe, peut-être d’un début d’évolution profond dans l’exercice législatif et d’un contrôle politique grandissant du Parlement face au Berlaymont, si l’usage de ce nouvel outil, aux allures de contre-pouvoir, venait à se banaliser.

(1) Camille Bing est diplômée de Science Po Strasbourg, Master 2 «Etudes européennes».

Photo: Débat Novel Food en commission ENVI / Service audiovisuel du parlement européen

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