Marc Tarabella: « La politique des quotas hommes-femmes est un mal nécessaire »

Politique des quotas, meilleur accès à la formation et au crédit, généralisation du congé paternité. Les réformes et pistes de réflexion en faveur d’une meilleure représentativité des genres dans la société ne manquent pas. Mais si les choses évoluent, notamment sous l’impulsion du Parlement européen, beaucoup reste encore à faire pour parvenir à une égalité de fait.

La politique des quotas en matière d’égalité hommes-femmes serait-elle un mal nécessaire? Bien sûr, «certaines femmes considèrent ab initio que ceux-ci ont quelques chose d’un peu avilissant, d’infamant», tant ils jettent un soupçon sur les qualités réelles de celles qui se hissent dans l’échelle sociale par cet artifice politique, relève le député européen S&D Marc Tarabella. «Mais force est de constater que sans quotas, les choses n’évoluent que très peu, voire ne changent pas», citant en exemple la Norvège qui a récemment imposé un rehaussement du nombre de femmes dans les conseils d’administration des sociétés côtées en bourse du pays. Résultat: «Nous sommes ici passés de 8% à 40% de représentativité des femmes. Et je ne pense pas que la Norvège se porte plus mal aujourd’hui qu’hier», conclu l’élu belge.

«Déconstruire les stéréotypes»

Mais ces quotas seraient-ils pour autant la principale solution à une meilleure représentativité des femmes dans le haut de l’échelle sociale? «Non», analyse, cette fois, Marc Tarabella. Car si une politique de quotas peut faire effet de levier, celle-ci ne peut résoudre à elle seule des difficultés plus complexes, et notamment un schéma de pensée, inscrit dès le plus jeune âge et qu’il s’agit d’inverser. Un schéma encore largement répandu en Europe et dans lequel il n’est pas rare de voir des parents, et par ricochet des jeunes filles, limiter leur ambition à un emploi modeste en raison de son genre et de sa «vocation» à fonder et à s’occuper prioritairement de sa future famille. En somme, ce qu’il convient aujourd’hui de faciliter est une «déconstruction des stéréotypes», poursuit le député S&D. Une chose toutefois «facile à dire, mais difficile à faire».

Le «plafond de verre» en question

Intervenir dans la sphère éducative, dès le plus jeune âge, à l’école, mais également au sein même de la cellule familiale, serait ainsi l’une des clés du problème, poursuit-il, relevant à cet effet que «le paradoxe que nous vivons est, qu’aujourd’hui, alors que 60% des étudiants qui réussissent dans le degré supérieur sont des jeunes femmes, leur présence s’efface dans le monde professionnel à mesure que l’on s’approche des postes de pouvoir». Un phénomène identifié dans les années 1970 aux Etats-Unis sous l’appellation «plafond de verre» et popularisé par un article du Wall Street Journal en 1986, et selon lequel les niveaux supérieurs ne seraient pas accessibles à certaines catégories de personnes, dont les femmes en particulier. Une expression également connue sous celle de «plancher collant», reprend l’élu belge, «qui, bien que moins élégante que la première, traduit bien une réalité détestable qu’il faudrait essayer de changer !».

Faciliter l’accès au crédit bancaire

Axes de réforme privilégiés par Marc Tarabella: la formation et une implication plus volontariste des banques en faveur de l’entreprenariat féminin. Dans le premier cas, l’élu insiste sur l’importance d’ouvrir de nouveaux horizons professionnels aux femmes: «Les femmes réussissent généralement plus en psychologie, en médecine, en droit mais peut-être moins en économie, en finance, et en astrophysique, par exemple. Déconstruire les stéréotypes, c’est donner la connaissance de toutes les filières qui existent pour que les jeunes puissent mieux faire leurs choix d’orientation et c’est vrai aussi dans les métiers techniques, comme comme ceux de soudeurs, d’électro-mécaniciens», où «les rares femmes qui embrassent ces filières le font souvent de manière très persuasive parce qu’elles sont souvent très compétentes et de ce fait très appréciées». Dans le second cas, l’émancipation professionnelle passe également par un meilleur «accès au crédit bancaire qui, pour réussir, nécessite que les femmes soient de la même manière plus présentes dans les conseils d’administration et les structures décisionnelles des grandes institutions financières», analyse-t-il encore: «Une femme qui dirigera un secteur de crédit dans une banque sera sans doute plus à l’écoute d’une femme qui souhaite devenir entrepreneur et prendre son destin en mains. C’est là, sans doute aussi, qu’il faut essayer de porter le fer», conclut-il en se basant sur plusieurs témoignages, dont celui de Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix en 2006 et fondateur, trente ans plus tôt, de la Grameen Bank – la première institution de microcrédit – qui «préférait prêter à des femmes parce qu’il savait que l’argent allait être mieux utilisé que s’il le prêtait à des hommes». Et de noter, que «clairement, la société peut changer si des femmes arrivent à des postes de responsabilités dans les entreprises, mais également dans ces entreprises qui donnent les clés du succès que sont les banques et qui facilitent l’accès au crédit».

Marc Tarabella: «La politique des quotas hommes-femmes est un mal nécessaire» from Ecole nationale d’administration on Vimeo.

Les femmes, meilleures alliées des femmes?

En attendant, les habitudes sont tenaces. Car si en Europe l’on parle régulièrement d’une plus grande égalité hommes-femmes, beaucoup reste encore à faire. Sur la question salariale, par exemple, le différentiel de revenus oscille encore entre 22% en Allemagne et en République tchèque et 14,8% en France, pour une moyenne de 16,4% dans l’Union. Ceci alors même que l’on voit pourtant un nombre croissant de femmes accéder à des postes de direction dans les entreprises et que ne manque dès lors pas de se poser une autre question sociétale: les femmes ayant franchi le plafond de verre seraient-elles finalement plus enclines à favoriser les salaires de leurs collègues féminines dans les entreprises qu’elles dirigent? Un point souvent minimisé ou trop rapidement évincé mais qui interpelle, tant il pourrait remettre en question l’impact même d’une politique de quotas si les femmes ne se saisissent pas elles-mêmes de cet outil politique pour forcer l’égalité. Un point, aussi, qu’il soit du fait des hommes ou des femmes, que le député européen S&D qualifie de «choquant» et qui pourrait être contourné cette fois, à l’image de se qui se fait dans le secteur public, par l’imposition, dans le secteur privé, d’un barème salarial indifférencié selon les genres.

Objectif 75% de taux d’emploi chez les femmes

Et puis, dernier axe de réforme, prôner également l’égalité en sens inverse en favorisant, comme le demandent un nombre croissant d’hommes, la généralisation du congé paternité, qui permettrait tant aux pères de passer plus de temps avec leurs enfants qu’aux femmes de ne pas sacrifier une carrière prometteuse ou de se résoudre à préférer des emplois à mi-temps susceptibles de les écarter progressivement de toute ascension sociale, par pragmatisme financier inscrit dans le cours terme. Une dernière réforme qu’il appartiendra notamment de faire accepter à des Etats membres comme le Luxembourg ou l’Allemagne, qui «ne consacrent toujours pas le congé paternité». Un chantier qui, lui aussi, prendra du temps mais sur lequel Marc Tarabella entend bien continuer à mobiliser ses homologues parlementaires, ne serait-ce que pour atteindre les objectifs d’Europe 2020 qui fixent à 75% le taux d’emploi chez les femmes contre une réalité aujourd’hui figée à 63% en moyenne et qui descend jusqu’à 37% dans des Etats membres tels que Malte…

(1) Christophe Nonnenmacher est chargé de mission au Pôle européen d’administration publique de Strasbourg (PEAP). Journaliste spécialisé sur les questions européennes, il a notamment travaillé pour La Semaine de l’Europe, La Quinzaine européenne et l’Européenne de Bruxelles, avant de diriger, jusqu’en 2009, le site Europeus.org, qu’il cofonda en 2004 avec Daniel Daniel Riot, alors directeur de la rédaction européenne de France3. Il a également travaillé cinq ans au Parlement européen. 

Natacha Ficarelli est rédactrice en chef adjointe de la revue Etudes européennes

Photo: Service audiovisuel du Parlement européen.

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