L'Association des anciens députés (AAD) du Parlement européen: «Pas seulement une bande de copains»

Méconnue de l’opinion publique et de la plupart des élus, l’Association des anciens députés (AAD) du Parlement européen ne se résume pas à un lieu de socialisation pour «une bande de copains», défend l’ancien eurodéputé Michel Pinton: les voyages d’études organisés par l’association seraient certes «touristiques, culturels, mais avant tout pédagogiques et politiques». Tant et si bien que l’AAD revêtirait, à certains égards, l’apparence d’un think tank influent. Un sentiment qui ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de ses membres…

Le rendez-vous était donné: il était convenu que nous nous retrouvions devant le «Bureau de passage des anciens députés», au cœur du bâtiment Jószef Antall du Parlement de Bruxelles. Pourtant, deux mois plus tôt, c’était une voix sèche qui, au téléphone, nous répondait: «Nous n’avons rien à voir avec le Parlement européen». Par crainte ou, plus vraisemblablement, par surprise, notre curiosité n’a pas été spontanément appréciée par le Secrétariat de l’Association des anciens députés (AAD) du Parlement européen.

Il est vrai que la structure ne brille pas par sa notoriété, malgré 202 nouvelles adhésions consécutives aux élections de mai 2014. Créée en 2001, elle a pour objectif, selon ses propres statuts, de mettre à profit l’expertise des anciens députés pour renforcer la démocratie parlementaire et l’unité européenne. Elle se donne également pour mission de contribuer à la promotion du débat sur l’Union européenne dans l’opinion publique. Tâche à laquelle s’attellent effectivement ses membres, notamment auprès des étudiants dans le cadre du programme Parlement européen au campus. Secrétaire générale de l’association, Elisabetta Fonck finira par accepter notre demande de rencontre et de préciser cette stratégie: «Les anciens députés ont du temps, de l’expertise et de la crédibilité pour mener ce genre de missions, autant en tirer parti».

Vitrine auto-proclamée de la démocratie parlementaire européenne, l’association a signé en ce sens une convention parallèle avec le Parlement européen. Chaque partie y trouve son compte: l’association dispose de locaux et de financements pour son personnel et ses activités. En échange de quoi elle véhicule les valeurs du Parlement et promeut le dialogue avec les acteurs politiques des États membres, comme le précise Jean-Marie Beaupuy. Président du Mouvement européen – Marne, député européen de 2004 à 2009 et membre actif de l’AAD, celui-ci déplore d’ailleurs à cet égard la «non-communication chronique entre parlementaires européens et élus nationaux». Et si l’on dissèque plus attentivement les activités de l’association, force est de constater que ses ambitions ne se limitent pas aux frontières de l’Union. En témoigne un récent bulletin trimestriel de l’association, posé sur une table basse de ses locaux, et dont la «une» affiche : «Dans ce numéro: Rapport spécial sur la visite d’étude de l’AAD au Kosovo».

«Des voyages touristiques, culturels, mais surtout pédagogiques et politiques»

Chaque année, un voyage d’étude est en effet organisé dans un État tiers concerné par la politique d’élargissement ou de voisinage, et choisi pour son intérêt aux yeux du Parlement européen. Ce séjour permet aux anciens députés de s’entretenir avec des universitaires, des responsables politiques, des syndicalistes et autres lobbyistes. Pour Michel Pinton, député européen de 1993 à 1994, en Ukraine en 2009, comme au Kosovo il y a quelques mois, «le but était d’abord de se retrouver. Mais il est certain, analyse-t-il, que les anciens députés ont pu exercer une influence politique» du lien entre la mission et le Parlement. Pendant ou en marge de celle-ci de briefings se tiennent ainsi de manière informelle avec le président de la délégation parlementaire correspondant au pays visité ; ce qui permet également aux députés encore en fonction d’obtenir par ce biais des informations précieuses et de les répercuter sur le plan politique.

Autre cas d’école, celui de Martine Roure, ancienne députée ayant siégé de 2002 à 2009 au sein de la commission Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures (LIBE), qui, en tant qu’ancienne vice-présidente du Parlement et spécialiste des droits de l’Homme a été missionnée en Tunisie par le bureau du Parlement sur la démocratie parlementaire, dans le cadre de sa coopération avec l’AAD. Objet de sa mission : intervenir devant l’Assemblée constituante tunisienne pour partager l’expertise européenne en matière de contrôle parlementaire. «A mon retour, j’ai transmis mon expérience aux anciens députés, tandis que les fonctionnaires du Parlement qui m’ont accompagnée ont remis un rapport aux élus actuels»…

L’Association: un «think tank influent»?

Attention toutefois, nuance Elisabetta Fonck qui balaie d’emblée toute politisation des activités de l’association et insiste sur son absence de position officielle: «sa principale visée reste la promotion de valeurs consensuelles, qui sont celles du Parlement et, plus généralement, de l’Union». Si influence politique il y a, elle ne concerne que les anciens députés pris individuellement. C’est ainsi que peut être interprétée la nomination de Pat Cox, ancien Président du Parlement européen, au poste de médiateur du Parlement pour l’Ukraine sur le cas «Timochenko». Il présidait alors l’AAD.

Toujours sur une base individuelle, les anciens députés peuvent également participer à des missions d’observation électorale (MOE), aidés en cela par l’association qui joue un rôle d’interface. C’est dans cette optique que l’AAD s’est d’ailleurs rapprochée de deux autres associations d’anciens parlementaires, américaine et canadienne, dotées d’une plus longue expérience de l’observation électorale. Leur coopération s’est même élargie en 2012, avec le lancement de l’Initiative pour la démocratie globale (IDG), destinée à promouvoir la démocratisation au sens large, au-delà de la simple tenue d’élections. Instrument nécessaire à la réalisation de ces ambitions, la Fondation pour la démocratie parlementaire a été créée en 2013, à l’initiative de Pat Cox, afin de réunir des financements externes. En 2014, la Fondation a reçu 12.500 euros de donations, de la part de deux sponsors, dont la banque KBC. Si l’on est loin de l’objectif affiché de récolter 50.000 euros par an, le recours à des fonds privés n’est pas du goût de tous les membres. Martine Roure, notamment, le déplore, concédant néanmoins qu’elle dit cela «car [elle est] française».

Reste, malgré ces actions et bonnes intentions, la question du poids politique réel de l’association, au-delà des seules apparences. Là encore, les avis divergent. Quand Michel Pinton la compare à un «think tank influent» en raison du prestige de ses membres, Jean-Marie Beaupuy se montre quant à lui bien plus mesuré, rappelant que l’influence est par définition impalpable. Et Françoise Castex, députée européenne socialiste jusqu’en mai 2014, de trancher la question à demi-mots, mais lourds de sens: «N’importe quelle organisation qui fait un voyage d’étude peut s’indigner. Mais quel poids cela a-t-il vraiment…?»

A propos de l’auteur : Héloïse de Montgolfier et Camille Bortolini sont étudiants en Master 2 «Etudes européennes» à Sciences PO Strasbourg

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