Lutte anti-terroriste: Jean-Claude Juncker appelle à ne pas prendre de dispositions liberticides

Sujet délicat, abordé quelques jours à peine après les attentats de Paris, par le Président de la Commission européenne, depuis les locaux parisiens de l’ENA. A l’occasion de son discours de clôture de la 8ème promotion du Cycle des Hautes Études Européennes, le 16 janvier dernier, Jean-Claude Juncker a souligné la nécessité de renforcer les mesures de lutte contre le terrorisme mais sans détricoter l’acquis communautaire, dont en premier lieu la protection des libertés publiques. Un enjeu majeur pour Jean-Claude Juncker à l’heure où la tentation «liberticide» est grande en Europe.

Que faire en matière de lutte anti-terroriste suite aux attentats de début janvier en France? «Agir vite mais dans le calme et dans la lucidité», tranchait Jean-Claude Juncker, depuis l’ENA, quelques jours à peine après avoir marché dans les rues de Paris en soutien à «Charlie». «Je ne voudrais en effet pas que nous établissions à l’échelle européenne un réseau de dispositions liberticides: si vous agissez dans la précipitation et dans l’émotion, vous risquez de produire des textes susceptibles de conduire à une pratique qui ne sera pas conforme à notre conception des libertés publiques». Quelques jours plus tard, dans un entretien accordé à Jean Quatremer, journaliste à Libération et membre du comité d’orientation de la revue Etudes européennes, Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission, confortait cette orientation: «Le premier devoir d’un État, c’est de garantir la sécurité de ses citoyens. Mais cela doit se faire dans le cadre des valeurs qui fondent la société. Or, la liberté – liberté d’expression, liberté de religion, liberté de pensée, etc. – est une valeur fondamentale de la société européenne et c’est à cela que les terroristes de Paris se sont attaqués. Si nous limitions nos libertés, nous jouerions leur jeu sans que cela mène à une meilleure protection des citoyens».

Quelle protection des libertés publiques en Europe dans l’après-Charlie? from Ecole nationale d’administration on Vimeo.

Le PNR européen en débat 

Préserver les libertés tout en agissant dans le cadre des prérogatives de l’Union en matière de sécurité. Cette équation a également été au cœur des discussions de la session plénière de janvier du Parlement européen. Au cœur des débats, la question d’un accord sur la collecte des données des dossiers passagers, ou PNR («Passenger Name Record»), divise. Le PPE continue ainsi à pousser en faveur d’un PNR européen. «La surveillance des mouvements des passagers aériens qui a démontré son efficacité est également cruciale», indiquait ainsi le 13 janvier le président du Groupe parlementaire, Manfred Weber. Et celui-ci d’appeler «les eurodéputés socialistes et libéraux d’arrêter de bloquer le texte concernant les données passagers et à ouvrir la voie à un accord», jugeant qu’«il est préférable de mettre en place rapidement un seul et unique PNR européen avec des standards élevés en matière de protection des données, plutôt que d’attendre la création de 28 PNR différents pour chaque État membre». Côté S&D, même si l’on concède de plus en plus en coulisses qu’un tel instrument ne serait peut-être pas inopportun, la tendance est encore au rapprochement avec les libéraux et les écologistes sur cette question, conditionnant la mise en place d’un tel dispositif à l’adoption d’un cadre préservant parallèlement les libertés publiques que pourrait contenir le rapport du député européen écologiste Jan Philipp Albrecht sur la protection des données personnelles. Un élu, vice-président de la commission parlementaire des Libertés publiques, qui ne cachait d’ailleurs pas ses craintes à l’issu du Conseil des ministres Affaires intérieures du 30 janvier: «Les gouvernements européens et l’Union ont raison de se concentrer sur ce qui peut être fait pour améliorer la coopération et prévenir de futures attaques terroristes mais leurs délibérations sont minées par le souci de renforcer la surveillance de masse, qui est solution fausse et disproportionnée qui n’aidera pas à la capture des terroristes». Et Jan Philipp Albrecht de rappeler que la Cour de Justice de l’Union européenne avait elle-même jugé la mise en place de mesures de surveillance de masse incompatible avec les droits fondamentaux de l’UE et avait invalidé en ce sens la directive du 15 mars 2006 sur la rétention des données.

La collaboration des services secrets comme principal problème

Une analyse qui rejoint en partie celle de Jean-Claude Juncker. «Que l’on réfléchisse encore davantage à une meilleure coordination des services policiers où beaucoup a déjà été fait au cours de ces dernières années, notamment en matière de mandat d’arrêt européen: oui, mais que l’on n’exagère pas, le principal problème étant la collaboration des services secrets», complétait pour sa part le nouveau Président de la Commission européenne, dans l’amphithéâtre du site parisien de l’ENA. Et l’ancien Premier ministre luxembourgeois explique que ceci est un domaine qui relève de la compétence nationale et qui constitue souvent une ligne rouge pour les États membres: «Après le 11 septembre 2001, nous étions convenu au Conseil européen, et à trois reprises, de mettre ensemble, et en organisant des synergies qui auraient pu porter loin, les capacités des différents Etats membres. Cela ne s’est jamais fait, ne fut-ce que pour la simple raison que les services secrets ne parlent pas aux services de police dans leur propre pays!». Et Jean-Claude Juncker d’ajouter que, parfois, l’idée lui était venue que l’on puisse mettre en place un service de Renseignements commun à l’Union européenne. «Une idée, déplore-t-il qui, lorsqu’elle fut formulée, n’a pas trouvé l’approbation des autres…».

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