Politiques sociales: Et si la gauche de la Gauche était finalement euro-fédéraliste?

Harmonisation sociale et fiscale européenne, renforcement des stratégies communautaires d’aide à l’emploi des jeunes, création d’un budget européen autonome et de nouveaux droits sociaux: la gauche de la Gauche française serait-elle devenue euro-fédéraliste? Loin de l’euroscepticisme surmédiatisé de Jean-Luc Mélenchon, le discours de Patrick Le Hyaric (2), vice-président de la GUE/NGL au Parlement européen, tranche avec les lieux communs. 

«Si nous avions eu une harmonisation d’un certain nombre de droits sociaux vers le haut, nous ne connaîtrions ni le problème que l’on connaît aujourd’hui dans l’ensemble de l’Union ni une forte montée du rejet de la construction européenne». Invité mercredi 11 février 2015 du Cycle des Petits déjeuners européens de l’ENA consacrés à l’Europe sociale, Patrick Le Hyaric pose d’entrée les termes du débat, sans ménager son auditoire. «Ce qu’il aurait fallu, c’est que l’Union ne se construise pas uniquement autour du Marché ou de la monnaie mais également autour d’un certain nombre de droits sociaux», appuie le vice-président du groupe de la Gauche unitaire européenne / Gauche verte nordique (GUE/NGL) au Parlement européen. Un discours militant, empruntant tous les contours lexicaux de la gauche de la Gauche mais qui, à l’inverse de Jean-Luc Mélenchon, préfère l’approche constructive à la seule dénonciation polémique. Une ligne politique qui, pour qui suit l’action de celui qui occupe parallèlement les fonctions de directeur de publication du quotidien L’Humanité, n’est toutefois pas nouvelle.

Déjà, le 27 novembre dernier, Patrick Le Hyaric rappelait ainsi depuis l’hémicycle strasbourgeois du Parlement, dans une adresse à la Commission et au Conseil, que «les objectifs sociaux doivent cesser d’être des vœux pieux» et «d’être le reliquat de politiques économiques toutes tournées vers la concurrence et la compétitivité». Tout au contraire, déclarait-il, «l’efficacité économique découle des choix d’efficacité sociale et écologique, du bien être humain» et non du seul principe de compétitivité. Et le député européen de justifier qu’«on ne peut espérer progresser vers plus d’emplois stables sans un véritable et efficace projet de développement durable, sans sortir de l’austérité, sans une autre politique du crédit de la Banque centrale européenne qui doit servir l’économie réelle, le travail, la formation, la recherche».

La directive sur les travailleurs détachés en question

L’économie réelle, le travail, justement, Patrick Le Hyaric en fait un axe majeur de son intervention au siège de l’ENA avec, pour première volonté de réforme, celle de l’harmonisation salariale en Europe: «La directive sur les travailleurs détachés est par exemple quelque chose de positif au départ», concède-t-il, «mais elle est actuellement utilisée par de grandes entreprises pour développer leur activité dans des nouveaux Etats membres où le coût du travail et la protection sociale sont moindres» qu’en France ou en Allemagne, deux des pays qui non seulement accueillent le plus grand nombre de travailleurs détachés, mais qui en sont également les plus grands pourvoyeurs après la Pologne. Ceci, avec pour conséquence mathématique de provoquer une inévitable situation de concurrence sociale intra-communautaire qui, selon la CGPME, permettrait à des entreprises de pays à haut niveau de salaire de réaliser 30 à 40% d’économies en faisant appel à une main d’œuvre légale moins onéreuse. Problème, qui plus est par temps de crise: l’équation passe mal auprès d’un nombre sans cesse croissant de citoyens, de plus en plus tentés par les sirènes eurosceptiques. «Prenez par exemple le cas d’un paysan qui voit que le propriétaire de la ferme voisine fait venir une main d’œuvre à très bas coût»: «Comment pensez-vous qu’il réagira, interpelle ainsi Patrick Le Hyaric? Tout cela, inévitablement, a un impact sur l’imaginaire [anti-européen] des citoyens!»

La France et l’Allemagne unies contre le dumping routier

Autre exemple, celui du transport routier: «Aujourd’hui, les transporteurs ne peuvent plus augmenter la rémunération de leurs salariés parce qu’ils se retrouvent en concurrence avec une main d’œuvre venue d’autres Etats membres» ne garantissant pas les mêmes protections sociales que dans les pays les plus avancés, renchérit Patrick Le Hyaric. Un point de vue là encore précédemment exprimé, le 30 janvier dernier, lorsque l’élu soulignait, dans le cadre d’une Question posée à la Commission, qu’«afin de lutter efficacement contre le dumping social dans le secteur routier, la France et la Belgique [avaient] pris des mesures légales pour encadrer plus strictement le temps de repos pour les chauffeurs routiers tels que défini dans la directive 561/2006. [Mais que] ces mesures [étaient] déjà vivement critiquées par Businesseurope, alors qu’en parallèle les transporteurs polonais et hongrois critiquent fortement l’impact du salaire minimum allemand, reléguant à l’arrière-plan les intérêts de leurs travailleurs». Autant de critiques qui, sous pression complémentaire de l’Union internationale des transporteurs routiers (IRU), ont notamment eu pour effet d’imposer à l’Allemagne un retro-pédalage partiel et provisoire en la matière. Ainsi, à l’issue d’une rencontre avec son homologue polonais Wladyslaw Kosiniak-Kamysz et pour motifs de « bon voisinage », la ministre allemande du Travail, Andrea Nahles, a-t-elle annoncé le 30 janvier que si le salaire minimum allemand continuerait de s’appliquer aux transporteurs des autres pays membres de l’Union dès lors qu’il y a chargement ou déchargement en Allemagne, celui-ci ne s’imposerait plus en cas de seul transit sur le sol allemand. Ceci, au moins jusqu’à ce que la Commission européenne clarifie la conformité d’une telle mesure au droit communautaire. Une concession, certes, mais qui, au-delà de toute récupération politique de ce pas en arrière, préserverait pourtant l’essentiel : l’application des dispositions de la directive Travailleurs détachés au cabotage terrestre, à défaut de l’étendre pour l’heure au transit.

Plus qu’un recul, donc, plutôt une avancée à mettre cette fois au crédit de la transposition de la directive et dont Paris s’empare à son tour dans la loi Macron, par le biais d’un amendement gouvernemental. S’adressant le 17 février à Alain Vidalies, Secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, Gilles Savary, député socialiste et ancien député européen, déclarait ainsi : « Vous avez introduit un amendement particulièrement audacieux dans le projet de loi Macron : adopté par l’Assemblée nationale, il vise à associer le cabotage au détachement des travailleurs. En conséquence, toute opération de déchargement rechargement sur notre sol se fera aux conditions salariales et sociales de la France ». Et le secrétaire d’Etat de rappeler que cet amendement vient ainsi combler une lacune législative en matière de lutte anti-dumping : « La directive ‘détachement’ ne s’applique [en effet] pas [à ce jour] aux transports routiers, si bien que, dans les opérations de cabotage, pendant sept jours, les chauffeurs restent rémunérés au salaire de leur pays d’origine alors que le travail s’effectue en France. L’amendement proposé (…) a pour but de mettre fin à cette loi de la jungle et d’imposer une rémunération salariale aux conditions françaises pour le travail effectué en France au titre du cabotage et à destination de la France ». Une «victoire», une «révolution» selon la fédération CGT des Transports, qui reconnaît néanmoins qu’il ne s’agit là que d’un « amendement visant à faire appliquer la directive [européenne] détachement aux salariés en situation de cabotage », mais qui ne pourra cependant être véritablement suivie d’effets qu’à mesure que seront renforcés les effectifs des contrôleurs terrestres. Une responsabilité publique qui, cette fois, n’incombe pas à Bruxelles mais bien à Paris…

Soutien à une «harmonisation fiscale efficace dans l’Union»

Et puis, se pose également la question fiscale, cet autre serpent de mer européen… Loin de se contenter, comme d’autres avant lui, de dénoncer les disparités de règlementations et d’en rejeter la faute sur Bruxelles, le vice-président de la GUE/NGL laisse suggérer la nécessité de tendre vers une harmonisation fiscale communautaire. Une perspective législative a priori bien plus attendue d’un élu fédéraliste que d’un homme venu de la gauche de la gauche hexagonale, mais qui s’inscrit là encore en cohérence avec de précédentes publications. Ainsi, dans le numéro 42 de La Revue du projet, la revue politique du Parti communiste français, Patrick Le Hyaric appelait-il à «[profiter] de la brèche ouverte avec les nouvelles révélations sur le paradis fiscal du Luxembourg pour porter le débat sur la fiscalité des entreprises et une harmonisation fiscale efficace dans l’Union européenne en lien avec une réforme de justice fiscale d’ampleur en France». Et l’élu de compléter, depuis l’ENA, que la différenciation des régimes fiscaux, même si elle est souvent perçue comme un facteur de compétitivité, n’en est pas moins dangereuse à l’échelle de l’Union: «Si l’on prend l’exemple d’une délocalisation d’entreprise [rendue avantageuse sur le plan fiscal], celle-ci peut paraître bénéfique pour le salarié ou l’ouvrier qui reçoit l’entreprise. Mais cela ne fait pas monde commun, cela ne fait pas Europe commune. Cela fait plutôt une Europe en concurrence, où les travailleurs, les entreprises, les Etats sont en concurrence et [favorise] une baisse des salaires et des conditions de protection sociale».

Fonds de garantie jeunesse: des crédits encore insuffisants

Lutte contre le dumping social, harmonisation salariale et fiscale, à mesure que les minutes s’égrainent dans la cafeteria de l’ENA, Patrick Le Hyaric dessine progressivement les contours d’une politique de gauche résolument constructive et europhile. Mais cette volonté de réformes, majoritairement portée par le groupe parlementaire de la Gauche unitaire, doit encore aller plus loin pour réussir, laisse encore entendre Patrick Le Hyaric qui, en marge d’autres préoccupations comme la mise en œuvre de grands projets de recherche et d’innovation en Europe, aspire également à ce que «l’accès au travail et à la formation [devienne] un droit fondamental en [Europe]» ; notamment en ce qui concerne les jeunes. Une préoccupation, au moins pour son ancrage non législatif, pour partie entendue par Marianne Thyssen, la nouvelle Commissaire à l’Emploi, qui, quelques jours plus tôt, le 4 février, annonçait une augmentation de 1 milliard d’euros du fonds «garantie jeunesse», désormais doté de 7 milliards annuels de crédits. Une avancée que Patrick Le Hyaric ne manque pas de saluer mais qui, à l’heure «où 7 millions de jeunes européens sont privés de travail et d’activité», reste encore bien en deçà des besoins. Et l’élu de rappeler que l’Institut international d’études sociales de l’Organisation Internationale du travail estimait déjà, en juillet 2012 (p.49), «à 21 milliards d’euros par an le besoin de financement pour répondre à un nouveau projet humain de formation et d’emploi stable pour les jeunes». Un chiffre certes élevé mais qui représenterait, selon l’OIT, moins de 0,5% des dépenses publiques dans la zone euro. Un chiffre, enfin, à mettre en perspective avec cette dernière estimation d’Eurofund: 153 milliards d’euros, le montant des pertes financières annuelles de la non-intégration des jeunes sur le marché de l’emploi et de la formation… Un coût sans doute à méditer sur le plan européen, à l’heure où les politiques d’austérité mises en place continuent d’influer sur les capacités d’investissement tant des Etats membres que de l’Union, avec en parallèle une hausse continue de la courbe du chômage en Europe.

Renforcer les investissements européens, si l’on suit le raisonnement de Patrick Le Hyaric, serait donc essentiel, mais resterait encore à définir comment dans une telle configuration. La création d’un véritable budget européen fondé sur des ressources propres permettrait sans nul doute d’atteindre au moins pour partie cet objectif. Mais encore faudrait-il pour cela que les Vingt-Huit, dont Paris, s’accordent à suivre le Parlement et la Commission en ce sens. Or, pour l’heure, les divisions intergouvernementales prédominent, comme dans l’exemple de la mise en œuvre de la Taxe sur les transactions financières. Un projet là encore d’inspiration fédéraliste, soutenu par la GUE/NGL et Patrick Le Hyaric, qui, à lui seul, et à défaut de tout solutionner, pourrait déjà permettre de dégager une capacité d’investissements supplémentaires de 30 à 35 milliards d’euros annuels, susceptible d’être dirigée vers un renforcement des politiques de formation et de stabilité de l’emploi des jeunes en Europe…

Sur le même sujet:

Elisabeth-Morin Chartier: «Nous sommes encore très éloignés d’une égalité sociale»

A propos de l’auteur : Christophe Nonnenmacher est chargé de mission au Pôle européen d’administration publique de Strasbourg (PEAP). Journaliste spécialisé sur les questions européennes, il a notamment travaillé pour La Semaine de l’Europe, La Quinzaine européenne et l’Européenne de Bruxelles, avant de diriger, jusqu’en 2009, le site Europeus.org, qu’il cofonda en 2004 avec Daniel Daniel Riot, alors directeur de la rédaction européenne de France3. Il a également travaillé cinq ans au Parlement européen.

(2) Les idées ou opinions du présent article sont l’expression d’une réflexion personnelle à vocation universitaire. Elles n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient.

Crédits photo: Die Linke. in Europa

© EuTalk / www.eutalk.eu – ISSN 2116-1917 / Les propos exprimés par l'intervenant sont l'expression d'une réflexion personnelle. Ils n’engagent que leur auteur, et en aucun cas l’institution à laquelle il appartient ou qui l'accueille.