Michel Barnier : « Nous avons tiré les leçons de la crise et corrigé nos faiblesses »

« La France n’est pas en avance et risque de voir sa dette s’élever à 100% de son PIB »

Intervenant en marge de la plénière de rentrée du nouveau Parlement européen, Michel Barnier, Commissaire européen chargé du Marché intérieur et des Services, s’est adressé mardi 1er juillet depuis Strasbourg aux promotions Winston Churchill (2013-2014), Jules Verne (Cycle international de perfectionnement – Cycle supérieur de perfectionnement des administrateurs 2013-2014) et Union sacrée (Cycle d’intégration des officiers 2014) de l’ENA. Dans le cadre de son intervention, il a évoqué le bilan de la Commission européenne en matière de régulation financière et de mise en place d’outils de sortie de crise. Supervision européenne renforcée des marchés, des banques et des compagnies d’assurances, Union bancaire, feuille de route pour l’investissement de long terme : autant de réformes nécessaires au redressement d’une Europe, selon lui encore en proie à une « destructuration » économique et démographique. Le tout avec pour leitmotiv, le titre de son dernier ouvrage : Se reposer ou être libre (1).

Commissaire européen depuis 2010, au moment du lancement de l’agenda de réformes du G20 et de la création du «Financial Stability Board», Michel Barnier a rappelé que 13% du PIB européen aura été mobilisé pour faire face à la crise financière. Une crise née dans le secteur des subprimes américains et alimentée par «le manque de règles, le comportement irresponsable de certains banquiers et la toxicité de certains produits». Une crise qui ne pouvait que se propager «de manière évidente» à une Europe «faible en matière de gouvernance financière» et dont 80% des transactions sont transatlantiques. «Une confiance aveugle a été accordée au commerce et aux échanges», analyse-t-il, rappelant que « la liberté a besoin de règles du jeu pour arriver à une certaine équité ». Aujourd’hui, «nous avons tiré les leçons de la crise et corrigé nos faiblesses […] Nous sommes désormais mieux outillés en termes de gouvernance».

 

« La prévention coûte moins cher que la réparation »

 

Devant les réactions en chaîne qui ont suivi, en particulier la destruction de nombreux emplois, de nombreuses mesures ont dû été prises. Dans le domaine de la régulation financière, quarante-et-une législations, auxquelles «aucun acteur, aucun produit, aucun secteur financier n’échappent plus désormais, ont été mises en place en quatre ans!». Cette démarche de régulation a trouvé son écho aux Etats-Unis avec le Dodd-Frank Act. Mais la pièce centrale de ce réajustement reste pour Michel Barnier l’Union bancaire, qui était encore «impensable en 2010, et qui est désormais sur les rails, grâce au soutien de José Manuel Barroso et Mario Draghi». A partir de novembre 2014, quelques 6000 banques de la Zone Euro seront placées dans un régime de supervision unique, sous l’autorité de la Banque centrale européenne (BCE). Un mécanisme unique de résolution sera également introduit pour régler de manière ordonnée les cas de faillite de banques, en vertu du principe voulant que «la prévention coûte toujours moins cher que la réparation, surtout si elle est improvisée et désordonnée».

Résultat de ces quatre années de réformes : désormais, «la philosophie de la transparence prévaut et des sanctions pénales encadrent les abus de marchés». Et le fait qu’au-delà de la régulation applicable aux vingt-huit Etats membres, dix-huit pays sont aujourd’hui parties prenantes à un système de solidarité renforcée, dans le cadre d’une zone euro au «fonctionnement que l’on pourrait qualifier à certains égards de fédéral». Car là était aussi l’une des faiblesses de l’Europe : la désunion économique dans l’union monétaire, déjà érigée en son temps comme point de vigilance par Jacques Delors. «Dix-huit politiques économiques, budgétaires, fiscales et sociales cohabitent et appellent de nouveaux outils de gouvernance avec un rôle assez ingrat dans ce schéma pour la Commission, commente Michel Barnier. Avec le nouveau ‘règlement de copropriété’, chaque pays a finalement mis de l’ordre dans ses finances publiques et est conscient de la nécessité de mener les réformes économiques qui s’imposent». Les efforts doivent cependant être poursuivis, notamment en France, qui « n’est pas en avance » et qui « risque de voir sa dette s’élever à 100% de son PIB avec des décalages toujours plus graves en termes de compétitivité.

 

« Moins de bureaucratie et davantage de politique à Bruxelles »

 

Reste qu’à l’échelle européenne, «depuis le Conseil européen du 29 juin 2012, la sérénité et la confiance sont revenues à l’égard de la monnaie commune», notamment en raison de la création de l’Union bancaire, perçue comme un «outil de confiance». «Les marchés ont compris qu’on ne laisserait pas exploser la zone euro», relève Michel Barnier. Quant au fonctionnement institutionnel, le renouvellement du Parlement et de la Commission «sur des bases plus saines» participe également de ce phénomène stabilisateur et «permet une vision plus audacieuse», qui pourrait permettre à l’Union, à l’image du projet de la CECA dans les années 1950, de s’engager dans une réelle stratégie de compétitivité industrielle, en commençant par se donner les moyens de maîtriser les technologies clés génériques identifiées par le rapport Jean Therme. Cette stratégie doit néanmoins se fonder sur une démarche offensive, plaide le Commissaire sortant, pour qui la bonne voie de sortie de crise ne réside pas dans le protectionnisme mais dans l’investissement dans l’ensemble du processus d’innovation. «Il ne faut plus se contenter de financer la recherche fondamentale, ou à un stade préliminaire, mais soutenir l’ensemble de la chaîne, jusqu’aux projets les plus proches du marché, comme la fabrication de prototypes et le développement de nouvelles lignes-pilotes. Cela sera désormais possible dans le programme européen Horizon 2020». En matière de recherche comme dans les autres domaines, la clé est qu’il y ait «moins de bureaucratie et davantage de politique à Bruxelles», insiste-t-il. Parce que «la politique est un ensemble de convictions, de lois, de règles et d’argent des contribuables, mis au service d’un projet collectif». Celui d’une construction européenne qui « est le plus beau projet politique qui puisse exister, à condition de ne pas le dévoyer ».

(1) Se reposer ou être libre (Michel Barnier, éditions Gallimard, paru le 17 avril 2014)

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