L'Europe ne pourra pas protéger sans solidarités

Le volet social reste un accompagnement du volet économique, même s’il gagne en crédibilité et en moyens.

Le 23 août dernier, Emmanuel Macron en appelait à une «Europe qui protège»; une façon de relancer la réflexion sur l’Europe sociale. Face à une politique sociale européenne jusqu’ici appréhendée comme la variable d’ajustement de la politique économique de l’Union, Patrice Obert invoque la mise en place de véritables politiques de solidarité intra-communautaires adossées à des ressources budgétaires propres.

 

«L’Europe qui protège, c’est une Europe qui sait régler le problème des travailleurs détachés (…) La directive travailleurs détachés telle qu’elle fonctionne est une trahison de l’esprit européen dans ses fondamentaux». 
Emmanuel Macron, 23 août 2017

L’affirmation par le nouveau président de la République Française de la nécessité d’une Europe qui libère et qui protège rouvre implicitement le vieux débat sur l’Europe sociale. Implicitement car personne n’utilise plus ce concept. Est-il pour autant définitivement mort ? Ou sera-t-on amené dans un proche avenir à enjamber l’Europe sociale pour accéder directement à une Europe de la solidarité. L’Europe sociale n’a jamais été qu’un élément complémentaire à l’Union économique et monétaire. La compétence sociale appartient aux Etats et non à l’Union et plusieurs modèles sociaux coexistent en Europe, même si l’ensemble des pays d’Europe se caractérisent par un certain modèle social européen composé de salaires moyens conséquents, d’un niveau de dépenses sociales élevé et d’un droit du travail relativement protecteur.

Les éléments de la politique sociale mise en place ont tourné autour de deux orientations : accompagner l’instauration du Marché unique en limitant la concurrence déloyale et proposer aux Etats des critères très généraux ; à savoir l’adéquation, la viabilité et la sûreté. Par ailleurs, la politique agricole commune et les fonds structurels étaient censés jouer un rôle de stabilisation et de convergence sociale.

Grave crise de confiance

La dimension sociale s’est en conséquence avérée être la variable d’ajustement lors de la crise économique de 2008 ; ce qui a abouti à un dumping social à l’intérieur de l’Europe. Il est donc apparu nécessaire de bâtir des outils pour répondre à la fois à une urgence économique – car il devenait indispensable d’améliorer le fonctionnement de l’UEM (Union économique et monétaire) et de réduire les chocs entre les économies – et à une urgence politique, compte tenu de la grave chute de confiance ressentie par les opinions publiques.

Il serait faux de nier les mesures prises, qui marquent une véritable prise de conscience : le Pacte pour la croissance et l’emploi de juin 2012 puis le « paquet investissements sociaux » de février 2013 ont traduit un changement d’orientation en formulant vis-à-vis des Etats membres des orientations plus globales.

La montée de l’inquiétude devant des dépenses sociales qui s’envolent s’est également traduite par la volonté de mieux coordonner les politiques sociales et de l’emploi par la mise en place d’indicateurs sociaux intégrés à la nouvelle gouvernance économique. Des plans d’aide inédits à certains Etats ont été mis en place. Deux pistes avaient été envisagées avant les élections au parlement européen de 2014 : l’instauration d’un salaire minimum, sous forme de fourchettes, et la mise en place, à plus long terme, d’un mécanisme d’assurance chômage qui viendrait compléter celui des Etats membres. On n’en parle plus guère. Aujourd’hui, c’est autour de la directive « travailleurs détachés » que se joue concrètement et symboliquement une certaine vision de l’Europe. Mais on voit bien que la logique de fond n’a pas changé.

Le volet social reste un accompagnement du volet économique, même s’il gagne en crédibilité et en moyens.

Pas d’Europe sociale sans Europe politique

En réalité, il s’agit de remettre la personne au centre des politiques européennes. Là serait le vrai changement. L’Europe sociale ne pourra vraiment être réalisée que si parallèlement se met en place une Europe politique qui reconnaît pleinement le citoyen européen. Ce passage se fera dans la solidarité ou ne se fera pas. Solidarité pour répondre à la crise et pour préparer l’avenir en dotant l’Union de ressources propres et en mettant en place des fonds d’ajustement structurels destinés à aider sur une longue période les Etats qui traversent des difficultés importantes. Solidarité dans l’accueil des migrants ; autre question qui, à travers le sujet des quotas, divise une nouvelle fois l’ouest et l’est de l’Europe. Solidarité dans les perspectives pour préparer à notre jeunesse un avenir commun. Solidarité dans la mise en place, au niveau européen, de dispositifs de formation tout au long de la vie destinés à aider nos concitoyens à affronter les désormais inévitables reconversions professionnelles. Solidarité, enfin, dans la régulation du capitalisme pour sauvegarder l’économie sociale de marché au service des citoyens et pas uniquement des consommateurs. La solidarité ne peut pas se concevoir sans la justice qui implique une bataille implacable pour l’harmonisation fiscale, la lutte anti-dumping et, de façon plus générale, un autre regard sur notre mode de développement et notre rapport aux autres peuples. Ainsi, la crise qui est au cœur de la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Union européenne appelle une réponse politique qui tient dans la mise en place d’une gouvernance politique de l’Union reposant sur le principe de solidarité.

À propos de l’auteur : Patrice Obert, (ENA 1979-1981), Président des Poissons Roses, a publié Un projet pour l’Europe, Harmattan, 2013, et Chroniques des élections européennes, Harmattan, 2015.
Photo: Service audiovisuel de la Commission européenne

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