Pierre Radanne: «Après l’Accord de Paris, l’Union doit se doter d’une compétence énergétique et climatique propre»

Union européenne, vers une ratification accélérée de la COP21: et maintenant? Hasard du calendrier ou heureuse coïncidence, le mercredi 5 octobre 2016 à l’Ecole Nationale d’Administration, Pierre Radanne, directeur du bureau d’étude spécialisé dans les questions climatiques «Futur facteur 4», s’exprimait sur les conséquences de l’accord de Paris de décembre 2015. La veille, le Parlement européen ratifiait le texte de la COP21 et permettait d’atteindre la barre exigée pour entrer en vigueur. Mais le processus de transition sera encore long et n’échappera pas au débat sur l’opportunité d’une plus grande communautarisation des politiques climatiques et énergétique.

Une fumée blanche pour clôturer la COP21! «C’est historiquement la première fois que des pays signent un traité tous ensemble, déterminant leur mode de développement, avec des engagements précis et concrets, des listes d’actions de ce qu’ils vont faire d’ici 2030. Ce n’est jamais arrivé auparavant, sur aucun sujet». A l’occasion de la tenue des Europ’After Hours consacrés aux suites de l’Accord de Paris sur le climat, Pierre Radanne ne cache pas une certaine satisfaction quant à la dynamique mise en place dans le cadre de ce texte. Ceci, d’autant plus que le contexte politique du moment ne plaidait guère en faveur d’une accélération du dossier, souligne le directeur du bureau d’étude spécialisé dans les questions climatiques «Futur facteur 4»: au moment de la tenue de la COP21, les attentats de Paris du 13 novembre 2015 avaient en effet non seulement complètement éclipsé les enjeux de la conférence sur le plan médiatique, mais également suscité la crainte que la COP ne devienne elle-même une cible terroriste et qu’une fumée noire ne se substitue à la blanche, attendue de longue date des acteurs du secteur environnemental. Un an après, tous se disent rassurés, parlant même d’un succès: «fumée blanche».

Un accord universel pour le climat: la politique de l’escalier

Bien plus qu’une simple velléité d’agenda politique, cette fumée blanche était attendue de longue date tant la gestion de la question climatique s’inscrit dans un processus historique rare. Mise en lumière dès 1827 par les travaux de Joseph Fourrier sur les gaz à effets de serre, la lutte contre le changement climatique s’est longtemps heurtée à de vaines tentatives d’accords internationaux. Le Protocole de Kyoto de 1995 qui ne contraignait qu’une partie des signataires en est l’un des exemples les plus significatifs. La différence aujourd’hui, analyse Pierre Radanne, est que l’Accord de Paris a cette force d’être «la première décision planétaire à solidarité universelle obligatoire».

Raison de ce revirement? Un changement de méthode, principalement; les Etats passant cette fois d’une politique de la contrainte à une politique dite «de l’escalier». Concrètement: concevoir que tout le monde a le droit d’atteindre les objectifs définis mais que non seulement tout un chacun n’ira pas à la même vitesse. Les Etats les plus en difficulté devront être soutenus dans leurs efforts pour se conformer aux résultats attendus. Un principe finalement simple et de bon sens, pour Pierre Radanne: «On se donne un objectif collectif, mais en reconnaissant que des peuples, des pays vont avoir plus de difficulté à le faire. Et que dès lors, il nous appartiendra de leur donner des financements, de la technologie, de la formation pour qu’ils puissent prendre ce virage». «Ce qui est très important, poursuit-il, c’est le caractère progressif, le caractère de transition, marche après marche» de ce texte.

Certes, l’Accord de Paris «n’est pas juridiquement contraignant, mais il l’est politiquement», ajoute-il enfin, quand bien même celui-ci resterait fragile parce que sensible aux évolutions politiques mondiales. Clé de cette contrainte politique? Le fait que l’Accord ait été signé par la quasi-totalité des Etats de la communauté internationale. Il reste, pour le fortifier, à le sanctuariser en le ratifiant. Une dernière étape interdisant, une fois fait, de rouvrir la boîte de Pandore et de remettre l’Accord en cause».

Un retournement mondial sur la question du climat

De ce point de vue, Pierre Radanne se veut rassurant. Plusieurs indicateurs le poussent même à l’optimisme. D’abord, d’un point de vue politique, les copies – selon le système de «contribution déterminée au niveau national» – que chaque pays devait rendre avant le début de la COP21 traduisaient déjà une reconnaissance du sujet et une volonté de définir la même voie de développement pour le futur. «À partir de ce qu’ont mis les pays dans leur stratégie nationale, on voit [en effet ] que ce n’est pas une poignée de pays qui sortent de guerre et qui changent de voie de développement qui s’impliquent, mais 195 pays qui disent: «c’est vers ces technologies-là que l’on va aller».

Seconde source d’optimisme pour Pierre Radanne: la logique économique et plus particulièrement les conclusions de l’étude de mai 2015 de l’agence de notation Standard & Poors qui tend à montrer que les pays «qui vont vers les nouvelles technologies, celles qui vont être nécessaires pour le futur, qui prennent pied sur des nouveaux marchés, seront mieux notés. «Il y a là un indicateur de renversement», analyse Pierre Radanne. Et une prise de conscience du potentiel économique d’une telle orientation environnementale déjà intégrée de longue date par l’Allemagne ou la Chine: deux Etats qui, parce que précurseurs, face à la hausse de la demande de produits respectueux de l’environnement, remportent des parts de marchés sans cesse croissantes. Et de prouver par l’exemple que développement économique et lutte contre le dérèglement climatique peuvent aller de pair.

Au niveau européen: une dynamique collective difficile à mettre en place

A cette heure, les Européens, pris individuellement, s’inscrivent néanmoins dans des dynamiques encore très divergentes en la matière. A seul titre d’exemple, à la date du 4 octobre 2016, seuls 7 Etats avaient ratifié le texte de l’Accord de Paris, ralentissant, de fait, l’entrée en vigueur de l’Accord, le texte devant être adopté d’abord par les parlements nationaux pour ensuite être présenté au Parlement européen. Evolution juridique et politique majeure, face à ce front dispersé, les institutions européennes ont décidé d’accélérer le processus de ratification grâce à une procédure inédite «coordonnée mais non simultanée», autorisant, avec l’accord à l’unanimité des 28 Etats membres au Conseil de l’Union européenne, puis le vote positif le mardi 4 octobre au Parlement européen, l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris. Si Pierre Radanne se félicite de cette initiative européenne, il considère qu’une véritable dynamique commune, à l’échelle de l’Union européenne, ne pourra néanmoins se mettre en place tant que les institutions européennes ne recevront pas une compétence énergétique propre et qu’un traité européen «Energie – Climat» ne sera pas adopté.

Pour autant, comme dans le cadre de l’Accord de Paris, des dynamiques existent à l’échelle territoriale. La Convention des Maires, par laquelle des dirigeants de grandes villes européennes se sont «massivement engagés» en faveur du climat, avec des objectifs et des reportings obligatoires en est un exemple; une autre forme de dynamique, sans doute tout aussi importante, complémentaire et ancrée directement dans les politiques locales. Il s’agit là d’une autre étape, aussi, pour un processus de transition annoncé comme long et progressif mais qui a ceci de commun avec les avancées de l’Accord de Paris; que les feux tendent peut-être enfin à passer au vert en matière d’action climatique.

Photo: EELV

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