Leçons du Sommet de Riga pour une révision de la Politique européenne de voisinage

« Riga n’est pas un concours de beauté entre la Russie et l’Union » – Donald Tusk

Tenu du 21 au 22 mai à Riga (Lettonie), le 4ème Sommet du Partenariat oriental soulève plusieurs questions quant aux relations de l’UE avec ses voisins de l’Est, en particulier à la veille de la révision de la Politique Européenne de Voisinage (PEV). Lancé en 2009 dans le but de créer une association politique entre l’UE et six voisins orientaux (l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Biélorussie), ainsi que pour faciliter l’intégration économique européenne de ces pays, ce Partenariat fait aujourd’hui face à de nombreux écueils : rapprochement de certains des Six avec l’Union économique eurasiatique portée par la Russie, renforcement d’une approche commune avec les Vingt-Huit, clivages géopolitiques… Ces différents éléments amènent inévitablement à une reconsidération des alliances militaires, stratégiques, économiques et idéologiques entre l’Union et ses partenaires. Analyse.

Le Sommet de Riga a été pour les dirigeants européens l’occasion de souligner «la haute importance» qu’ils attachent à cette coopération ainsi que leur «vision partagée de ce Partenariat stratégique et ambitieux». Si les aspirations européennes des pays concernés ont été reconnues, le Sommet a malgré tout été critiqué pour son manque d’ambition; surtout parce que la Chancelière allemande Angela Merkel a insisté pour que «le Partenariat oriental [ne soit pas] un instrument d’élargissement de l’Union européenne, mais de rapprochement avec l’Union européenne».

Un Partenariat fragilisé par son caractère asymétrique 

Cette nuance a laissé certains insatisfaits et déçus, comme l’Ukraine et la Géorgie, qui s’attendaient à des perspectives d’adhésion et à la discussion d’aspects plus concrets de l’européanisation comme la libéralisation de visas. Et pour cause: suite aux évènements survenus en Ukraine, il n’est plus aussi facile de promouvoir le projet européen auprès de la population dans ces pays face à l’ombre grandissante de la Russie. Quand des questions énergétiques et économiques s’ajoutent à l’équation, les partenaires de l’UE ont intérêt à bien réfléchir aux conséquences de leur décision. Le souhait de se porter candidat à un statut de membre de l’Otan a coûté l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie à la Géorgie, tandis que le refus de signer un Accord d’Association avec l’UE a déclenché une guerre séparatiste en Ukraine, suivie de l’annexion de la Crimée par la Russie et le chaos qui continue à Donbass.

En tenant compte de ces défis, la déclaration de Riga stipule que les partenaires orientaux sont libres de définir individuellement le degré de leur engagement avec l’Union européenne, conférant un caractère asymétrique au présent Partenariat. L’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie ont chacun signé un Accord d’Association avec l’UE en 2014. Au contraire, l’Arménie et la Biélorussie ont choisi de joindre l’Union économique eurasiatique menée par la Russie, une alliance considérée comme incompatible avec un partenariat approfondi avec l’UE.

En 2013, l’Arménie a renoncé à un Accord d’Association après de nombreuses années de négociations avec l’UE, préférant opter pour l’offre russe, garante de sa sécurité. Pour des raisons sécuritaires et stratégiques similaires, et soucieux de bénéficier de tarifs préférentiels pour le gaz, la Biélorussie et de manière temporaire, l’Ukraine, ont aussi choisi le rapprochement avec Moscou.

Lors du sommet, le Président du Conseil européen Donald Tusk a tenu à souligner que Riga n’était pas une «concours de beauté entre la Russie et l’Union». Rappelons cependant qu’en 2013 encore, l’UE avait proposé à l’Ukraine un prêt de 610 millions d’euros ainsi que la perspective d’un prêt du FMI d’un milliard d’euros. Comme alternative, la Russie n’avait pas seulement mis sur la table un investissement de 15 milliards d’euros mais avait aussi promis de diminuer de moitié le prix d’exportation du gaz vers l’Ukraine. L’adhésion de cette dernière à l’Union eurasiatique semble aujourd’hui inenvisageable.

Absence de vision européenne face à la volonté expansionniste de la Russie

Cet exemple illustre l’absence de compréhension et de vision de l’UE face à la question ukrainienne et à la volonté expansionniste de la Russie qui se joue du droit international. Une autocritique serait nécessaire dans la perspective d’une imminente révision de la Politique européenne de voisinage, qui, conduite différemment, pourrait éviter certains conflits dans le futur. L’aide financière qu’elle dispense aujourd’hui à l’Ukraine est largement supérieure à celle qu’elle proposait il y a deux ans : une dernière tranche de 1,8 milliard sur un montant total de 3,4 milliards d’euros ont d’ailleurs été approuvée à Riga.

Le désamorçage du conflit en Ukraine a été placé parmi les sujets principaux abordés par les participants au Sommet. L’UE a exprimé son soutien aux efforts diplomatiques dans le Format-Normandie (rassemblant des représentants français, allemands, russes et ukrainiens) et le rôle de la Biélorussie en tant que facilitateur dans les négociations. Les dirigeants européens ont été prudents en se limitant à réitérer dans leur communiqué leur condamnation de «l’illégale annexion de la Crimée et de Sébastopol». Pour ce faire, ils ont dû lutter contre l’Arménie et la Biélorussie qui ont refusé de signer un texte condamnant l’occupation russe. En effet, ces deux Etats démontrent déjà une volonté de rapprochement stratégique avec la Russie dans les domaines de la défense et les questions de sécurité.

Minsk ou la recherche d’un difficile équilibre entre l’UE et la Russie 

Le Président biélorusse, Aleksandr Loukachenko a pendant longtemps contrarié les attentes de l’Ouest. En 2010, l’UE et les Etats-Unis imposaient des sanctions à la Biélorussie suite à des élections controversées dans le pays. Cependant, bien que Loukachenko fût le plus opposé au projet de Partenariat oriental depuis son lancement, ses efforts dans la récente médiation entre la Russie et l’Occident au sujet de l’Ukraine ont ouvert la voie vers un nouveau dialogue politique et économique. Soucieux des déboires financiers de Moscou, des fréquentes disputes avec cette dernière, et la tenue prochaine d’élections en Biélorussie, Minsk cherche aujourd’hui à réajuster sa position à l’égard de l’Union européenne et des Etats-Unis. Probablement conçue comme une mesure préventive contre la Russie, Loukachenko a adopté une loi reconnaissant toute présence de combattant étranger armé sur le sol biélorusse comme une déclaration de guerre; alors que des troupes russes sont stationnées en Biélorussie et qu’une nouvelle base aérienne russe sera ouverte en 2016.

De même, l’armée russe est aussi très présente en Arménie avec 5.000 troupes de soldats, notamment pour permettre à l’Arménie de garder un œil vigilant sur ses voisins turc et iranien et pour maintenir son occupation illégale du Haut Karabakh. L’éruption de la crise ukrainienne a d’ailleurs eu comme conséquence une escalade de violence le long de la ligne de contact entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Soutien réitéré de l’UE à l’intégrité territoriale de ses partenaires orientaux

Les alliances militaires stratégiques de l’Arménie et de la Biélorussie avec la Russie attisent les clivages parmi les partenaires orientaux comme la Géorgie et l’Ukraine qui, eux-mêmes, ainsi que certains pays baltes, font des exercices militaires avec l’armée américaine. De la même façon, l’Azerbaïdjan a contribué aux opérations de maintien de la paix au Kosovo et en Irak, et a joué par ailleurs un rôle crucial lors du rapatriement des troupes de l’OTAN depuis l’Afghanistan.

A Riga, l’UE n’a pas seulement montré son soutien à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine mais aussi reconnu celles de chaque partenaire oriental en rappelant les conflits en Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud et Haut Karabakh. La France a notamment joué un rôle important dans les négociations de l’accord de Riga, de la même façon qu’elle est activement impliquée dans le processus de paix en Ukraine. Le Président François Hollande s’était préalablement rendu en Azerbaïdjan et en Arménie avant le sommet afin de démêler la situation du Haut Karabakh, un autre cas de conflit persistant dans cette région, avec l’occupation de 20% du sol azerbaidjanais par l’Arménie depuis près de 25 ans.

Faute d’ambition, l’UE risque de pousser l’Azerbaïdjan dans les bras de la Russie

N’ayant ni signé un Accord d’association avec l’UE ni avec l’Union eurasiatique économique, l’Azerbaïdjan est le seul pays du Partenariat oriental qui a pu préserver sa neutralité, bien qu’il affiche son souhait de signer un partenariat stratégique avec l’UE. Le Sommet n’a pas délivré de résultats concrets dans cette direction, se contentant de se féliciter des progrès vers la définition d’une forte base pour la mise à jour d’un éventuel cadre contractuel avec l’Azerbaïdjan, et se limitant sur les sujets techniques tels l’aviation, la facilitation de visas ou la participation aux programmes de l’UE. Par son manque d’ambition envers le pays caspien, l’UE prend le risque à terme de le pousser dans les bras de la Russie. Si l’Azerbaïdjan rejoignait l’Union économique eurasiatique, les marges de manœuvre laissées à l’UE pour créer une coopération plus étroite avec le pays seraient alors très limitées, comme c’est le cas aujourd’hui avec la Biélorussie et l’Arménie.

Cette hypothèse devrait être prise en compte par les dirigeants européens alors qu’ils cherchent inlassablement à diversifier leurs approvisionnements énergétiques. Dans ce contexte, soulignons le projet de gazoduc qui acheminerait le gaz de la Mer Caspienne vers les pays de l’UE, en passant par la Turquie – contournant la Russie – afin d’être moins dépendants du gaz russe.

Depuis l’Accord DCFTA (Zone de libre-échange approfondi et complet), les exportations moldaves et géorgiennes vers les 28 Etats membres ont respectivement augmenté de 20 % et 18 %. Même si l’Azerbaïdjan n’a pas signé un tel accord avec l’UE, cette dernière reste le premier partenaire commercial du pays, comptant 42,4 % de son commerce extérieur, avec 48,3% de ses exportations et 27,7% de ses importations. En revanche, la Russie représente plus de 50% du volume commercial de la Biélorussie, et le plus grand investisseur étranger et premier partenaire commercial de l’Arménie.

Ukraine, Géorgie: vers un accord de libéralisation des visas d’ici 2016? 

Quant à la libéralisation de visas, la Géorgie et l’Ukraine ont du mal à expliquer le peu d’avancées à Riga en rentrant chez eux. En contraste avec la Moldavie, dont les citoyens ont obtenu le droit de libre circulation dans l’UE en 2014, les dirigeants européens ont insisté pour que ces deux Etats progressent en matière de droit d’asile, de lutte contre le crime organisé, la corruption, le trafic de drogues et le trafic humain. Selon Donald Tusk, la Géorgie et l’Ukraine seront probablement en mesure de signer un accord de libéralisation de visas d’ici 2016. Cependant, certains analystes indiquent qu’une telle mesure pourrait être conditionnée par la stabilisation de la situation à Donbass, afin d’endiguer une potentielle vague de migration.

La question centrale que les dirigeants européens doivent se poser à la veille de la révision du PEV est celle de l’objectif même du Partenariat oriental. N’oublions pas ce qui attire nos partenaires vers l’UE: c’est l’espoir d’une vie meilleure, avec des standards plus élevés et les valeurs européens telles que la tolérance, la justice, la pluralité, le respect des minorités, la non-discrimination, la solidarité et l’égalité.

Le principe de «plus pour plus» de l’UE à l’égard de ses partenaires orientaux conditionne une coopération plus profonde à l’alignement sur les valeurs qu’elle défend. Si ces pays décident d’adopter à la place le modèle eurasiatique et ne mènent pas à terme les réformes nécessaires pour remplir leurs obligations et leurs engagements envers l’UE, ils ne devraient pas être perçus comme des partenaires fiables. Une hypothèse qui doit être prise en compte lors de l’évaluation des relations de l’UE avec la Biélorussie et l’Arménie.

Daech et radicalisme islamique: nouveaux venus dans l’équation euro-orientale 

De plus, l’UE devra définir une stratégie claire pour promouvoir le sécularisme auprès de ces six partenaires dans le cadre de la révision du PEV, alors que la radicalisation islamique progresse de plus en plus dans cette région. Le danger de Daech se rapproche et, depuis le Caucase, certains pays comme l’Azerbaïdjan se perçoivent comme davantage menacés par des tendances extrémistes venant du Daghestan du Nord et de l’Iran.

Si les leaders européens veulent promouvoir la paix et la prospérité dans leur voisinage, il leur faut chercher le juste équilibre dans les domaines sécuritaires, énergétiques et économiques tout en assurant la promotion des valeurs européennes. Une approche plus stratégique et équitable améliorerait la crédibilité de l’UE auprès de ces pays et permettrait à nos partenaires d’obtenir le soutien de l’opinion publique à leurs aspirations européennes. Néanmoins, le facteur russe reste très important dans l’équation euro-orientale. De fait, si une éventuelle levée des sanctions européennes contre la Russie devrait être conditionnée à un engagement du Kremlin à ne pas déstabiliser la région sur un plan sécuritaire, l’Union devrait néanmoins veiller à ne pas rompre tout dialogue avec Moscou, au risque de freiner l’émergence d’opportunités économiques pour ses entreprises sur le marché russe. Un équilibre certes difficile à trouver, mais dont pourrait dépendre à terme la stabilité politique et économique de l’ensemble de la région.

Photo: European External Action Service

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